Une école va porter le nom d’Anne Sylvestre

Anne Sylvestre est décédée le 30 novembre 2020 à l’âge de 86 ans, des suites d’un AVC, et une école portera son nom dans le 20e arrondissement. Cette décision a été prise à la suite du vœu émis le 9 mars 2022 par le Conseil du 20e arrondissement, proposition qui a été ensuite adoptée deux semaines plus tard par le conseil de Paris.

Actuellement, l’école est en cours de construction au 73 boulevard Davout, à l’emplacement de l’ancien studio d’enregistrement Davout. Son ouverture est prévue en 2023.

Nouvelle école dans le 20e

Maquette de la future école et crèche au 73 bld Davout-Mairie 20e

L’occasion nous est ainsi faite de nous rappeler que plusieurs grandes chanteuses ont vécu dans notre arrondissement :

  • Edith Piaf y est née et a commencé sa carrière en chantant dans les rues de Ménilmontant,
  • Barbara a habité au 50 rue Vitruve et
  • Anne-Marie Beugras, dite Anne Sylvestre, a également vécu dans nos quartiers.

Anne Sylvestre est née le 20 juin 1934 à Lyon et passe toute son enfance dans la région lyonnaise, puis à Suresnes avant de venir à Paris. Après plusieurs déménagements, elle s’installe finalement dans le 20e.

L’artiste

Elle est une élève brillante, abonnée aux prix d’excellence, mais, dès qu’on lui a offert sa première guitare, elle abandonne ses études pour la chanson.
Elle fait ses débuts en 1957 dans différents cabarets dont « Les Trois Baudets », où elle chantera jusqu’en 1962.

Son premier disque sort en 1959 et elle se fait très vite remarquer pour son originalité et la grande qualité de ses textes. En 1962 elle chante en première partie à l’Olympia.

Brassens, à qui elle a été souvent comparée, dit d’elle : 
« On commence à s’apercevoir qu’avant sa venue dans la chanson, il nous manquait quelque chose et quelque chose d’important ».

 

Georges Brassens et Anne Sylvestre en 1962

Anne Sylvestre crée sa propre maison d’édition, publie de nombreux disques alternant des chansons pour enfants et des chansons pour adultes. Elle fera de nombreuses tournées en France et à l’international au cours d’une carrière qui durera plus de soixante ans. Aujourd’hui de nombreux chanteurs continuent à interpréter ses classiques.

La féministe

Elle a souffert du fait que son père avait été le bras droit de Jacques Doriot, fondateur du parti fasciste pro-allemand, puis condamné à la Libération.
Quand son père est sorti de prison, Anne-Sylvestre a quinze ans. Elle se souvient de cet âge-là et le confie dans un entretien au Monde, daté du 11 novembre 2018 :

A l’école, les élèves m’ont mise en quarantaine. Leurs parents leur ont interdit de me fréquenter. Alors, voyez-vous, dans cette [] volonté de revanche, il y a une résurgence de ce que j’ai pu éprouver à l’époque : « O.K., mon père est un traître. Mais je vous emmerde et je serai Prix d’excellence. » Et j’ai été Prix d’excellence.

Ce passé lourd à porter sera pour elle une des raisons de son refus de tout engagement politique.

Enfin pas tout-à-fait : féministe convaincue, elle a notamment lutté pour le droit à l’avortement. Son féminisme est pleinement assumé dans beaucoup de ses chansons, comme le montre en particulier le très beau texte de l’un de ses succès sortis en 1975, « une sorcière comme les autres »:

S’il vous plaît
Soyez comme le duvet
Soyez comme la plume d’oie des oreillers d’autrefois
J’aimerais ne pas être portefaix
S’il vous plaît faites-vous léger
Moi je ne peux plus bouger

Je vous ai porté vivant
Je vous ai porté enfant
Dieu comme vous étiez lourd
Pesant votre poids d’amour
Je vous ai porté encore
À l’heure de votre mort
Je vous ai porté des fleurs
Vous ai morcelé mon cœur

Quand vous jouiez à la guerre moi je gardais la maison
J’ai usé de mes prières les barreaux de vos prisons
Quand vous mouriez sous les bombes je vous cherchais en hurlant
Me voilà comme une tombe et tout le malheur dedans

Ce n’est que moi
C’est elle ou moi
Celle qui parle ou qui se tait
Celle qui pleure ou qui est gaie
C’est Jeanne d’Arc ou bien Margot
Fille de vague ou de ruisseau

C’est mon cœur ou bien le leur
Et c’est la sœur ou l’inconnue
Celle qui n’est jamais venue
Celle qui est venue trop tard
Fille de rêve ou de hasard

Et c’est ma mère ou la vôtre
Une sorcière comme les autres

Il vous faut
Être comme le ruisseau
Comme l’eau claire de l’étang
Qui reflète et qui attend
S’il vous plaît
Regardez-moi je suis vraie
Je vous prie, ne m’inventez pas
Vous l’avez tant fait déjà
Vous m’avez aimée servante
M’avez voulue ignorante
Forte vous me combattiez
Faible vous me méprisiez
Vous m’avez aimée putain
Et couverte de satin
Vous m’avez faite statue
Et toujours je me suis tue

Quand j’étais vieille et trop laide, vous me jetiez au rebut
Vous me refusiez votre aide quand je ne vous servais plus
Quand j’étais belle et soumise vous m’adoriez à genoux
Me voilà comme une église toute la honte dessous

Ce n’est que moi
C’est elle ou moi
Celle qui aime ou n’aime pas
Celle qui règne ou se débat
C’est Joséphine ou la Dupont
Fille de nacre ou de coton

C’est mon cœur
Ou bien le leur
Celle qui attend sur le port
Celle des monuments aux morts
Celle qui danse et qui en meurt
Fille bitume ou fille fleur

Et c’est ma mère ou la vôtre
Une sorcière comme les autres

S’il vous plaît, soyez comme je vous ai
Vous ai rêvé depuis longtemps
Libre et fort comme le vent
Libre aussi, regardez je suis ainsi
Apprenez-moi n’ayez pas peur
Pour moi je vous sais par cœur

J’étais celle qui attend
Mais je peux marcher devant
J’étais la bûche et le feu
L’incendie aussi je peux
J’étais la déesse mère
Mais je n’étais que poussière
J’étais le sol sous vos pas
Et je ne le savais pas

Mais un jour la terre s’ouvre
Et le volcan n’en peux plus
Le sol se rompt, on découvre des richesses inconnues
La mer à son tour divague de violence inemployée
Me voilà comme une vague vous ne serez pas noyé

Ce n’est que moi
C’est elle ou moi
Et c’est l’ancêtre ou c’est l’enfant
Celle qui cède ou se défend
C’est Gabrielle ou bien Eva
Fille d’amour ou de combat

Et’ c’est mon cœur
Ou bien le leur
Celle qui est dans son printemps
Celle que personne n’attend
Et c’est la moche ou c’est la belle
Fille de brume ou de plein ciel

Et c’est ma mère ou la vôtre
Une sorcière comme les autres

S’il vous plaît, s’il vous plaît faites-vous léger
Moi je ne peux plus bouger

 

Quelques années avant la fin de la vie,  Anne Sylvestre fut attristée par la mort de son petit-fils assassiné au Bataclan le 12 novembre 2015. Il s’appelait Baptiste Chevreau, il avait 24 ans, et c’était un musicien.

Raymond Bossus signataire de l'affiche du 20e

Août 1944, la libération de Belleville

 Maurice Arnoult, le bottier de Belleville… nous raconte la libération de Belleville

Il y a quelques jours, vous avez pu lire ici un article consacré à la « bataille du rail » de la gare de Ménilmontant, héroïquement menée, le 23 août 1944, par Madeleine Riffaut à la tête d’une poignée de résistants.

Un autre Bellevillois nous a laissé un témoignage sur cette période mouvementée. Maurice ARNOULT (1908-2010) a passé presque toute sa vie dans le quartier de Belleville ; il y est arrivé en 1922, s’y est formé et y a travaillé comme artisan bottier, pendant plusieurs décennies, pour les grandes maisons de couture parisiennes. Dans son modeste atelier de la rue de Belleville, il a observé la vie quotidienne de son quartier, particulièrement pendant la Seconde Guerre mondiale. Il y a donc vécu la guerre, avec les horreurs de l’Occupation, les restrictions, le marché noir, la collaboration et les déportations…

Maurice Arnoult résistant du 20e

Maurice Arnoult après la guerre, bottier à Belleville dans son atelier

Lui, il a protégé et caché plusieurs familles juives de son quartier menacées par les rafles[1]Il témoigne aussi de l’excitation et de la pagaille joyeuse qui s’emparent du quartier quand les troupes américaines, lancées aux trousses des Allemands, le traversent, au matin du 30 août 1944… Autant de souvenirs qu’il consigne au soir de sa vie dans son livre, Moi, Maurice, bottier à Belleville. Souvenirs d’une vie, écrit avec Michel Bloit et publié chez L’Harmattan en 1993.

Passons la parole à Maurice ARNOULT 

la 2e division blindée à Paris

« Avec le mois d’août [1944], chaque jour apporte son cortège de rumeurs sur l’arrivée des troupes alliées. Enfin, le 25 août c’est sûr ; les premiers éléments de la 2e division blindée du général Leclerc |…] roule vers l’Hôtel de ville et la préfecture de police. Des combats d’arrière-garde ont lieu dans tous les quartiers entre les Alliés et les résistants d’un côté et les troupes allemandes de l’autre. La confusion la plus extrême règne faute d’informations précises.»

Les barricades des bellevillois

« Le bruit court qu’il faut partout élever des barricades. Le jeudi 28 août, je me joins aux groupes qui se forment au carrefour de la rue des Pyrénées et de la rue de Belleville. Armé d’une barre de fer j’arrache les petits pavés parisiens en granit gris, à quelques mètres de mon atelier. Des dizaines d’hommes et de femmes du quartier sont là, heureux, après 4 ans d’oppression, de faire quelque chose de défendu, tout en regardant si les Frisés comme on les appelle, ne risquent pas d’arriver. Des troupes ennemies étaient, disait-on, massées dans les banlieues nord.

Dépavement pour barricade

Du 22 au 24 août 1944, des enfants préparant une barricade. Musée Carnavalet

A 3h de l’après-midi, la barricade a fière allure. Les enfants grimpent dessus. Un agent de police, porteur d’un brassard tricolore, y plante un drapeau français. Tout le monde applaudit.

« Le lendemain, 29 août […], il faut enlever au plus vite car une division américaine doit passer par Belleville dans les heures qui viennent, à la poursuite des Allemands qui, regroupés dans le nord et l’est de Paris, préparent une contre-attaque. Je me rends aussitôt au carrefour de la rue des Pyrénées qui a servi de point de ralliement pendant la construction de la barricade et où des groupes nombreux commentent les événements. Je leur annonce la nouvelle et n’ai pas trop de mal à les convaincre qu’il faut démolir aujourd’hui ce qu’on a construit hier. […] La barricade est plus vite démolie que construite ; c’est moins excitant et tout le monde est vaguement inquiet. Et si c’était une fausse nouvelle et si c’était une division allemande qui arrivait ? »

Les américains entrent dans Belleville

« Le lendemain matin, vers 6h, le quartier est réveillé par un roulement énorme et continu. Ce sont des chars américains facilement reconnaissables à leur grande étoile blanche. […] Nous nous habillons rapidement et voyons les premiers blindés remonter la rue de Belleville dans un fracas étourdissant. Après les tanks, ce sont des jeeps, des camions, des voitures dépanneuses, de gigantesques remorques, porteuses de pontons pour traverser les rivières. La colonne avance par secousses, s’arrête cinq minutes puis repart.

« Les trottoirs sont maintenant noirs de monde : les enfants en pyjamas, les femmes en chemises de nuit et peignoirs, les hommes en pantalons et tricots de corps. Dès que les chars s’arrêtent, on monte dessus pour embrasser les soldats américains qui vident les verres de vin qu’on leur tend. […] Jamais on n’avait vu une telle armée. Pas un homme à pied ; tout le monde sur des roues, et quelles roues ! On comprend que l’armée allemande ait été complètement enfoncée par de tels engins.

« […] Au café de la rue des Pyrénées, on vide toutes les bouteilles dans les quarts des Américains qui, en échange, jettent à la foule des paquets de cigarettes, de vraies américaines comme on n’en avait pas vu depuis 4 ans. A midi, passent les dernières jeeps. On crie et on chante : good bye, good bye, vive la France. »

Aout 1944, le 20e libéré

Soldats de la 4e division d’infanterie américaine devant la mairie du 20e. Henri Guérard, Paris Musée

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[1] https://www.cercleshoah.org/spip.php?article740. Il a été reconnu Juste parmi les Nations en 1994. 

Le 20e sous la Commune

La Commune et le 20e, seconde partie

Notre Bulletin n° 78 vient de paraître. Il fait suite au précédent sur le même sujet, avec dix nouveaux articles extraits de la page Actualité du site Internet de l’AHAV. Il complète ainsi la publication de notre sélection de vingt articles relatifs au 150e anniversaire de la Commune de 1871.

Le 20e arrondissement y avait tenu une place toute particulière, et cet anniversaire 2021, ces faits au retentissement mondial, a été un temps fort qui a mobilisé notre association : en plus de nos conférences et visites guidées au Père Lachaise, nous avions précédemment publié sur le même sujet :

  • le bulletin n° 75, un tableau de la Commune, à travers nos quartiers et les personnalités marquantes de cette époque.
  • le bulletin n° 76, le portrait de Félix Pyat, un républicain engagé, par les personnalités qui l’ont connu.

À signaler sur un temps plus long, l’évolution de notre démocratie dont la Commune a été le marqueur principal : « 1869-1879 : la République en son creuset », diffusée sur France Culture, dans l’émission Concordance des temps le 5 mars 2022. Émission dans laquelle le rôle de Gambetta y est abondamment décrit.

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En 1871, le Gouvernement de la Défense provisoire négocie avec les Prussiens

et se charge de prendre Paris : là débute la Commune. C’était il y a 151 ans…

Au sommaire, nos dix articles parus en 2021 :

  • 8 mars – Les femmes dans la Commune
  • 28 mars – La Commune proclamée par le maire du 20e
  • 3 avril – Colline, Covid, Commune : les artistes en action
  • 5 avril – 3 avril 1871, 3 actions de la Commune 13
  • 12 avril – Un Bellevillois barricadier en chef de la Commune
  • 24 mai – 21 mai 1871, les Versaillais entrent dans Paris
  • 25 mai – Robida, reporter de guerre communard
  • 30 mai – Finalement, une plaque au mur des fédérés
  • 1er juin – La fin de l’aventure communaliste
  • 7 juin – Inauguration du jardin Paule Minck

Ces articles ont été écrits par Christiane Demeulenaere-Douyère et Philippe Gluck

Comme chaque année, la mairie organise ce 25 août 2022 la cérémonie de la Libération de Paris dans le 20e

Le premier rendez-vous a lieu devant la mairie :

Entre 9h15 et 12h : fleurissement des plaques commémoratives de l’arrondissement 
12h30 : rassemblement devant la mairie du 20e
13h : rassemblement square Edouard Vaillant

 

À cette occasion, nous reproduisons ci-dessous notre article mis en ligne le 23 août 2021

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23 août 1944, la guerre souterraine à Ménilmontant

 

La bataille de Paris a commencé ce 19 août et elle finit le 25 août 1944. Elle aura fait environ 1700 morts du côté parisien dont 1000 résistants, et 3200 morts du côté allemand.

Quelques jours plus tôt, dès le 10 août 1944, les cheminots CGT de la région parisienne ont déclenché une grève insurrectionnelle, puis la CGT clandestine a appelé à la grève générale pour le 18 août.

Dès le lendemain, les résistants du groupe Libération s’emparent de la mairie du 20e et Raymond Bossus – conseiller municipal communiste jusqu’en 1940- est nommé président du Comité de libération. Il deviendra officiellement maire du 20e en mars 1945.

Raymond Bossus, maire provisoire du 20e en 1944

Le conseil municipal provisoire du 20e installé le 19 aout 1944

… Et le 23 août en gare de Ménilmontant (à propos de la gare, voir aussi l’article sur la fête de la petite Ceinture en 2019), la Résistance remporte une bataille dans notre arrondissement.

Ce jour-là on peut lire le résumé d’un appel téléphonique dans la main-courante de la Préfecture de police :

 

19h10. Du 20ème : Les deux trains bloqués sous tunnel Ménilmontant par suite attaque FFI sont entièrement aux mains de celles-ci. Ne contiennent que du matériel peu utile actuellement : onze personnes ont été capturées. Machine ayant déraillé, voie bloquée pour un certain temps.

 

Un embouteillage de trains bloqués

 

Sur le réseau ferré de la Petite Ceinture, l’intervention armée des résistants se situe plus précisément autour du tunnel long de 1124 m qui relie la gare de Ménilmontant à la gare de Belleville-Villette, tout près des Buttes-Chaumont.

Ce 23 août, un wagon de munitions stationne sous le pont de la rue Manin. Un autre train, « mal aiguillé » par les cheminots de la gare de Ménilmontant, vient percuter le convoi qui s’était abrité dans le tunnel. Un troisième train de troupes arrive par le nord, mais il est stoppé par les rails déboulonnés.

Les résistants des 19e et 20e arrondissements à la manœuvre

 

Plusieurs organisations de résistants interviennent sur place : des FFI du 19e, ceux du 20e -qui de leur côté bloquent les issues du tunnel au pont de Ménilmontant-, ceux du groupe Piat, des membres de l’O.C.M (Organisation Civile et Militaire), des policiers et quelques cheminots à la retraite.

 

Passerelle et gare de Ménilmontant

Gare de Ménilmontant, carte postale colorisée à la main.

 

Côté 19e, le colonel Rol-Tanguy désigne Madeleine Riffaud pour diriger (le jour de ses 20 ans) quatre hommes, et attaquer le train à la grenade depuis le pont de Belleville-Villette

Voici le récit de l’attaque du train, qu’en a fait Madeleine Riffaud, lieutenante des FTP Saint-Just :

 

« Tôt ce matin du 23 Août 1944, alors que les résistants des télécoms s’étaient débrouillés pour que les Allemands n’aient aucune communication, j’ai reçu un coup de téléphone avec ce message : « Compagnie Saint Just, vous vous devez vous poster au pont de Belleville-Villette afin de stopper à tout prix un train, car s’il peut pénétrer dans le ventre mou du 19e où il n’y a plus de barricades, ça risquerait d’être une tuerie générale. »

À son correspondant ; la lieutenant Franc-Tireur-Patriote expliqua qu’elle n’avait que 4 hommes à disposition. « Démerde-toi » lui répondit-on.

 

Les deux issues du tunnel sont maintenant bloquées. Un FFI qui tente de parlementer est abattu. Alors, tactiquement et plutôt que de faire exploser le tunnel, les résistants préfèrent préparer deux cents kilos de souffre pour enfumer les allemands. Finalement craignant l’asphyxie, cent trente-sept allemands au total vont se rendre. Bilan matériel : quatorze wagons contenant des armes, des habits et de la nourriture auront été ainsi récupérés.

Les résistants du 20e tués dans cette opération

Cinq résistants du 20e ont été tués, dont deux inconnus.

 

3 résistants du 20e tués gare de Ménilmontant

Plaque sur la passerelle rue de la Mare. PG

Plaque où habitait François Boltz

Plaque au 26 rue Piat. PG

François Boltz, habitait au 26, rue Piat ; Louis Godefroy au 11 rue des Envierges et Léon Adjeman à une adresse inconnue ; le décès des trois hommes a été enregistré à l’hôpital Tenon.

Deux célèbres résistants photographes étaient sur place

 

Robert Doisneau a été envoyé par la Résistance pour voir ce qu’il en est des deux trains allemands sous le tunnel. Faute de pouvoir les photographier, il fait alors le tour du quartier où notamment des bellevillois avaient monté une barricade.

Résistance et barricade à Belleville

22 août 1944, un résistant F.F.I. en alerte métro Belleville. Robert Doisneau, musée Carnavalet

Enfin, il nous faut bien-sûr citer également Henri Guérard, né à Ménilmontant -au 10 rue Sorbier- connu par ses engagements humanistes dans le 20e. Agé de 23 ans, il photographie « la bataille de Ménilmontant » et en cette même année 1944, il va entrer au service photographique et cinématographique des armées.

Henri Guérard, populaire dans le 20e arrondissement

Henri Guérard

Edgard Morin rayonnant dans la presse

Edgar Morin, un enfant de Ménilmontant

Les hauteurs de Belleville conservent en bonne santé si l’on en croit Edgar Morin, né le 8 juillet 1921 et donc âgé aujourd’hui de plus de 101 ans.

Ce qui n’empêche pas ce sociologue, ce chercheur populaire particulièrement sollicité par la presse, d’accepter très régulièrement les invitations des différents médias généralistes et spécialisés. Et tout dernièrement encore sur France Inter où il aborde en passant -et en toute simplicité- sa vie d’aujourd’hui.

Et quand il parle de vivre, il sait de quoi il parle :

« Vivre est une navigation dans un océan d’incertitudes

avec quelques îlots de certitudes

pour s’orienter et se ravitailler. »

Retour rapide sur sa jeunesse, son passé militant et  son apport intellectuel

La jeunesse d’ Edgar Morin

Ses parents, originaires de familles commerçantes juives de Salonique, venus en France au début des années 1910, s’étaient installés à Ménilmontant où vivait une importante communauté juive. Son père (Vidal Nahoum) tenait un commerce de bonneterie en gros.
Edgar Morin n’a reçu aucune éducation religieuse mais vivait au milieu d’une communauté de juifs saloniciens. Il se qualifie « d’incroyant radical ». En 1931, l’enfance d’Edgar Morin a été profondément bouleversée par la mort prématurée de sa mère. Après cette disparition brutale, il sera élevé par son père.

Edgar Morin jeune

Il passe toute sa jeunesse à Ménilmontant ; dans une interview à France Inter le 14 juillet 2022, il nous raconte un 14 juillet à Ménilmontant :

« J’ai tout d’abord pensé au 14 juillet de ma jeunesse avant-guerre. Le 14 juillet, lors de l’avant-guerre, c’était une grande fête populaire, il y avait partout, dans tous les quartiers, des bals, notamment dans mon quartier Ménilmontant, et des drapeaux français à toutes les fenêtres. C’était la grande fête de l’année, Peut-être que cette fête a diminué en qualité populaire…
Pour moi le 14 juillet ce n’est pas seulement le 14 juillet 1789 mais c’est le 14 juillet 1790, la grande fête de la Fédération où les délégués de toutes les provinces de France ont voulu dire nous voulons faire partie de la grande union…
Je pense que la France dans son unité et sa diversité actuelle a été fondée là. Donc pour moi, j’adore le 14 juillet. »

Edgard Morin toujours énergique

Edgar Morin sur France Inter le 14 juillet 2022

Âgé de 101 ans, il dit ressentir « la poésie de vivre, de marcher au soleil ».

« J’ai perdu beaucoup d’amis, mais j’en ai encore. J’ai une relation d’amour avec mon épouse. J’ai encore beaucoup de sentiments, bien que beaucoup de choses soient rétrécies, dont mon audition, ma capacité de gambader avec mes jambes. Mon corps a diminué de ses capacités, mais mon esprit reste pareil. La vie continue à travailler en moi. »

Il reste l’un de nos grands intellectuels français après avoir été un militant engagé.

Le militant de gauche
En 1936, pendant la guerre d’Espagne, son premier acte politique est d’intégrer une organisation libertaire, pour préparer des colis à destination de l’Espagne républicaine. En 1938, il rejoint les rangs d’une petite formation de la gauche pacifiste et antifasciste.

Il entre en 1942 dans la Résistance communiste au sein des Forces unies de la jeunesse patriotique, change son nom en Edgar Morin et devient membre du Parti Communiste. Il est alors proche de nombreux intellectuels « compagnons de route » de ce parti, comme Georges Friedmann ou Jean-Paul Sartre. Il en sera exclu en 1951 à cause de son opposition au stalinisme. Politiquement, Il se situe maintenant dans une gauche républicaine et humaniste et a récemment déclaré. « J’ai toujours les mêmes convictions, mais j’ai perdu des illusions »

L’intellectuel
Son œuvre en tant que sociologue, chercheur, cinéaste, écrivain et enseignant est considérable.

Il a écrit plus de cent livres. À l’âge de 100 ans il a publié Leçons d’un siècle de vie, Paris, Éditions Denoël, et, en 2022, à l’âge de 101 ans, Réveillons-nous ! Paris, Éditions Denoël. Il a participé ou réalisé neuf films.

Edgar Morin Révéillons nous !Édité chez Denoël

Il a beaucoup travaillé sur le concept de complexité, cette « pensée complexe » qui, selon lui, aide les dirigeants à mieux comprendre le monde qui les entoure. Si le mot complexité s’oppose apparemment à la simplicité, lui a le don de nous expliquer ici -en moins de 14mn agréables et pédagogiques- toute son utilité.

« Dans la vie, tout est lié » et il nous faut donc « relier ce qui est lié ». Une approche bien utile avant de prendre une bonne décision pour agir. Et dans cet entretien, son apparente simplicité conviviale et claire le rend accessible au grand public : elle fait à l’évidence de lui opportunément un bon « client » régulier pour les journalistes.

Terminons par une pensée d’Edgar Morin, toujours d’actualité : « À force de sacrifier l’essentiel pour l’urgence on oublie l’urgence de l’essentiel. »

Le coup du père François

Casque d’or et le procès Manda

 

Le nom de Casque d’Or reste fortement attaché à notre arrondissement, avec celui des « apaches» de Belleville. Dans le 20e arrondissement, un jardin donnant rue des Vignoles lui a été dédié il y a tout juste 50 ans.

Casque d'Or dans le 20e

Jardin au nom de Casque d’Or en 1972, situé au 14 rue Michel de Bourges-Wikipédia

L’AHAV a déjà abordé l’histoire de Casque d’Or, cette « bad girl », surnommée également la reine des apaches. Cette jeune prostituée fait l’objet d’une rivalité amoureuse violente entre deux « chefs de gang » de nos quartiers, Manda et Leca (parfois écrit Lecca). Une histoire entre « apaches » qui finira par mal tourner.

En effet, il y a tout juste 120 ans, Manda chef des apaches de Belleville (la Courtille, les Orteaux) comparaissait devant la cour d’assise. Surnommé Manda, il s’appelle en réalité Joseph Pleigneur ; il est né en 1876 au 38 rue Ramponneau.

Le 2 février 1902, La police vient l’arrêter comme l’auteur de l’agression commise en plein jour contre Leca -chef de la bande de Charonne- à sa sortie de l’hôpital Tenon.

Manda 24 ans né rue Ramponneau

Photographie d’identité judiciaire de Joseph Pleigneur, dit Manda. le 13 juin 1900

L’arrestation de Manda

Le Matin daté du 3 février 1902 décrit ainsi son arrestation :

Ces jours derniers, Manda jugea prudent de se réfugier à Londres pour échapper aux brigadiers de la sûreté, Harfillard et Treillard, chargés de l’arrêter. Pour son malheur, il rentra en France samedi dernier et alla habiter dans un hôtel meublé situé route de Choisy, au lieu-dit « île Saint-Pierre- à Alfortville, où les policiers ne tardèrent pas à le découvrir.

 Hier après-midi, une cinquantaine d’agents cernèrent l’hôtel et les brigadiers Harfillard et Treillard pénétrèrent, revolver au poing, dans une salle du débit, située au rez-de-chaussée et où Manda jouait tranquillement aux cartes avec quelques amis. En apercevant les agents, il se leva, bondit à la fenêtre, l’ouvrit et sauta dans la cour en criant

À moi, mes enfants, ce sont les « flics » !

À leur tour cinq individus, qui se trouvaient dans le débit, sautèrent dans la cour, mais leur chef était déjà ligoté, et des agents le portaient dans une voiture qui attendait à la porte. Il a été immédiatement conduit au Dépôt et mis à la disposition de M. Le Poittevin, juge d’instruction.

Et c’est ainsi que deux mois plus tard, M. Le Poittevin va signer une ordonnance inculpant Manda de tentative d’assassinat, avec comme complice Louis Heil dit « le Boulanger » et Maurice Ponsard dit « le Petit-Rouquin ».

La criminalité des apaches, par dilettantisme

La médiatisation de ce règlement de comptes entre apaches va prendre une ampleur nationale. Mais d’où vient ce surnom d’apaches, phénomène parisien… pourtant aussi intemporel que national et international ?

Il faut savoir qu’au tout début du 20ème siècle, la mode est à l’américaine et la presse de la France entière surnomme ainsi nos bandes de jeunes délinquants des quartiers parisiens. Mieux encore pour la réputation de nos quartiers, l’écrivain journaliste Henry Fouquier les décrit ainsi dans le journal le Matin daté du 12 décembre 1902 : « Nous avons l’avantage de posséder, à Paris, une tribu d’Apaches dont les hauteurs de Ménilmontant sont les Montagnes rocheuses. »

Les apaches, un filon pour la presse

Paris aux apaches, in Les Faits divers illustrés 17 octobre 1907-BnF

Mais là plus précisément, il s’agit surtout d’une guerre interne pour savoir à qui « appartiendra » Casque d’Or : son souteneur historique Manda dont elle est amoureuse ou son nouvel amant Leca depuis qu’elle a su être trompée par Manda ?

Les rivaux sont tous les deux chefs de bande et en 1902, une confrontation violente et répétée va naître entre Manda de Belleville et Leca de la « bande des Popincs » (Popincourt dans le 11e). Manda va multiplier les tentatives d’assassinat contre Leca.

Celles-ci aboutiront le 5 janvier par une fusillade rue d’Avron devant la porte d’un bar. Leca blessé par deux balles va aller à l’hôpital Tenon faire soigner son bras et sa cuisse.

Le 9 janvier Leca sort de l’hôpital, et rue de Bagnolet un peu avant le croisement de la rue des Pyrénées, il subit une nouvelle agression au couteau par Manda et un de ses lieutenants  : le voilà à nouveau de retour à l’hôpital Tenon, dans la salle Montyon une heure à peine après l’avoir quittée. C’est cette dernière tentative d’assassinat qui va aboutir au procès.

Manda attaque Leca

Casque d’Or et le 9 janvier 1902, pelle Stark à l’angle des rues des Pyrénées et de Bagnolet

Le procès de Manda

Manda va comparaitre les 30 et 31 mai 1902 devant la 4ème cour d’assises de la Seine, sous l’inculpation de deux tentatives d’homicide, un procès assidument suivi par la presse nationale.

Au moment de son procès avec ses acolytes, Manda a déjà un casier judiciaire : il a été interné de 16 à 20 ans dans une maison de correction, puis une fois adulte il est condamné cinq fois pour vol et « vagabondage spécial », expression qui désigne le proxénétisme au 19ème siècle.

À l’écoute de ce rappel des faits, il répond :

— Ce sont des erreurs, huit jours de prison pour un sou que j’avais pris par mégarde, et quatre mois pour avoir rossé un agent… oui, mais jamais je n’ai vécu de la prostitution de ma maîtresse !

— Amélie, a-t-il murmuré, ne me donnait que vingt sous de temps en temps pour mon tabac. C’est pourtant pas défendu de vivre avec une fiIle.

— Non, a répondu le président ; ce qui est défendu, c’est de recevoir son argent. S’il fallait poursuivre tous ceux qui vivent avec des filles, ce ne serait pas possible, il y en aurait trop. (Éclats de rires.)

Il nie par ailleurs être un chef de bande.

Manda meurt en 1936

Le soir 13 octobre 1937, après la mort de Manda : les souvenirs du commissaire Lefevre

Le président— Quoi qu’il en soit, une haine mortelle est née entre Leca et vous. Vous avez pris la résolution de tuer votre rival. Et les hostilités ont commencé le 30 décembre 1901…

— Casque d’Or, dit le président, était allée chercher (Lecca) avec une voiture à l’hôpital…Tout à coup, vous paraissez, Manda, vous bondissez sur le marchepied ; votre bras armé d’un couteau entre dans la voiture et frappe : Lecca reçoit un coup en pleine poitrine qui lui traverse le poumon, et Herbs, qui était sur le strapontin, est blessé deux fois

Manda. — C’est le hasard qui a fait tout cela. Nous ne savions pas que Lecca allait sortir de l’hôpital à ce moment-là. Je ne suis pour rien dans ces coups de couteau.

Malheureusement, les faits sont là et s’ajoutent aux précédents : Lecca croit qu’il va mourir et a dit tout à son père.

—Il avait dit tout ça dans un mouvement de fièvre ! essaie de soutenir Manda.

— Non, fait le président ; il croyait qu’il allait mourir, à l’hôpital, et il a déclaré à son père : « Père, c’est Manda qui m’a tué. Il m’a tiré les deux coups de revolver et donné le coup de couteau. Venge-moi ! »

—Il a menti ! s’écrie Manda.

— Les autres auraient-ils tous menti ? Ils ont, au début de l’instruction, unanimement accusé Manda.

— Je le sais bien, reconnaît l’accusé, tout est contre moi, je l’avoue ! Mais ce n’est pas une raison pour que je l’aie frappé.

Casque d’Or à la barre

Au moment du procès, Manda a 26 ans et celle que tout le monde attend à la barre, c’est Amélie Élie dite « Casque d’Or », âgée alors d’à peine 24 ans ; elle se présente comme fleuriste.

Le Clairon, le Radical du 1er juin et le Réveil du 4 juin 1902 se complètent pour nous rapporter son témoignage devant le président du tribunal :

Les apaches devant le jury

Le Clairon du 1er juin 1902

—  Vous faisiez vivre Manda ? lui demande le président.

— C’est-à-dire, répond-elle, qu’il travaillait, que je travaillais ; nous mettions notre argent en commun.

— Pourtant, vous lui avez envoyé de l’argent quand il a été arrêté ?

— Je lui ai envoyé de l’argent, quand il était en prison, parce que je pensais qu’il était malheureux. Moi aussi, je suis malheureuse quand je suis en prison.

— À quoi travaillait-il ?

— À rien, murmure Casque d’Or.

 — Et vous, vous alliez dans les maisons de rendez-vous ?

— Oui.

— Vous payiez le loyer ? Vous lui donniez des pièces de cent sous, de quarante sous ?

— Oui.

— Dites-nous pourquoi et comment vous 1’avez quitté ?

Voilà, fait Casque d’Or, dont la voix s’éclaircit et la bouche sourit :

Lecca avait une maîtresse ; j’ai appris que Manda avait couché avec elle ; alors j’ai proposé à Lecca de venir avec moi. Et il est venu !

À l’issue de son procès qui passionne l’opinion publique, le 1er juin 1902 Manda est condamné à perpétuité au Bagne de la Guyane française. Sa peine est commuée à 20 années de réclusion. Il sera libéré en 1922 mais sans le droit de retourner en Europe. Il mourra sur place en 1936, à l’âge de 60 ans et sera enterré à Cayenne. Casque d’Or décédera à Bagnolet en 1933 à l’âge de 55ans.

Ménilmontant Bal des Pompiers 2022

 

Ce que vous n’avez jamais osé demander sur le 14 Juillet…

 

Le 14 Juillet et ses festivités approchent… Pavoisements, défilés, feux d’artifice et bals populaires, des rituels annuels, des évidences sur lesquelles nous ne nous interrogeons même plus. Et pourtant…

 

Pavoisement 14 juillet

 

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Pourquoi les militaires défilent-ils le 14 Juillet ?

Pour beaucoup de nos concitoyens.nes, les manifestations du 14 Juillet sont associées à la prise de la Bastille et à l’insurrection populaire de 1789.

Que nenni… ! En choisissant cette date pour célébrer la fête nationale, la IIIe République entendait commémorer la fête de la Fédération, le 14 juillet 1790.

 

Le 14 Juillet 1880 : le premier…

C’est en 1880 qu’a lieu le premier défilé militaire du 14 Juillet. La France veut montrer le redressement de son armée dix ans après la défaite contre les Prussiens (1870). Il répond à la nécessité d’expliquer le rôle d’une armée dans la démocratie.

Claude Monet, Fête nationale rue Saint-Denis

Claude Monet, Fête Nationale rue Saint-Denis

Le 21 mai 1880, Benjamin Raspail dépose une proposition de loi signée par 64 députés : « la République adopte comme jour de fête nationale annuelle le 14 juillet ». Le texte est adopté à la majorité de 173 voix contre 64, et promulgué le 6 juillet 1880. Remarquons que le vote intervient au même moment que l’amnistie des communards : il s’agit de ne laisser personne au banc de la Nation.

Et, le 14 juillet suivant, un défilé militaire est organisé sur l’hippodrome de Longchamp devant 300 000 spectateurs, en présence du président de la République, Jules Grévy.

Alfred Roll, La fête du 14 juillet 1880 et l'inauguration de la statue de la République

Alfred Roll, La fête du 14 juillet 1880 et l’inauguration de la statue de la République

La journée a commencé par l’inauguration d’un monument, œuvre des frères Léopold et Charles Morice, sur la place de la République. Une statue de bronze représentant une femme drapée d’une toge à l’antique et coiffée d’un bonnet phrygien, incarne la République. Sa main droite tend un rameau d’olivier tandis que son bras gauche repose sur les Tables de la Loi sur lesquelles il sera par la suite gravé « Droits de l’homme ». Autour du piédestal, trois grandes statues de pierre représentent la Liberté tenant des fers brisés et brandissant un flambeau, l’Egalité tenant le drapeau tricolore et une équerre à niveau, et la Fraternité entourée d’attributs agricoles et d’enfants.

Cette même année 1880, a lieu la distribution des nouveaux drapeaux à l’armée : est confirmée la fonction du drapeau tricolore comme emblème national. Le président Grévy remet aux régiments des drapeaux bleu-blanc-rouge frangés d’or et frappés du signe RF.

Vincent Van Gogh Fête du 14 juillet 1886

Vincent Van Gogh, Fête du 14 Juillet 1886

Suivront d’autres 14 Juillet tout aussi symboliques des grandes étapes de notre Histoire…

 

Le 14 Juillet 1919 : le souvenir des morts et des disparus

14 juillet 1919. L'Arc de Triomphe. Le Défilé de la Victoire

14 juillet 1919 – L’Arc de Triomphe, le Défilé de la Victoire

Après les épreuves et la victoire de la Grande Guerre de 1914-1918, le défilé a lieu pour la première fois sur les Champs-Élysées… un hommage aux combattants, morts et survivants, voulu par Clémenceau, qui deviendra l’ordinaire des célébrations du 14 Juillet. Mille « gueules cassées », menées par le nouveau député de la Meuse André Maginot, volontaire de 1914 amputé d’une jambe, précèdent les troupes alliées victorieuses ; les Poilus français ferment la marche. La République rend hommage à ses disparus et remercie ses alliés.

Dans la nuit du 13 au 14 juillet, pour la veillée d’honneur aux « morts de la Patrie », un cénotaphe géant entouré de canons pris à l’ennemi est dressé sous l’Arc de triomphe.

14 juillet 1919. Trophée constitué de canons allemands entassés place de la Concorde

14 juillet 1919 – Trophée constitué de canons allemands entassés place de la Concorde – ECPAD

 

Le 14 Juillet 1936 : le défilé du Front Populaire

Un mois après les accords de Matignon, trois mois après l’arrivée au pouvoir du Front populaire, un second défilé, populaire et ouvrier, est organisé l’après-midi, en réponse au défilé militaire du matin. Un million de manifestants parcourent l’Est parisien en célébrant le triomphe du Front encore au sommet de sa popularité. C’est le « bel été 36 » et trois jours de fête sont décrétés par le gouvernement sous la devise « Le pain, l’armée, le peuple ».

 

Le 14 Juillet 1945 : le défilé de la Libération

Après les 14 Juillet de la guerre transformés par le régime de Pétain en cérémonies d’hommage aux morts, le défilé militaire reprend ses droits au milieu de la liesse populaire. Il a lieu de Vincennes à Bastille, après que le général de Gaulle et le général de Lattre eurent passé en revue, sur le cours de Vincennes, les combattants de l’armée Rhin et Danube. « Cette fois, la marche triomphale avait lieu d’est en ouest », remarque de Gaulle dans ses Mémoires. La fibre patriotique et militaire l’emporte de nouveau.

INA  « Le défilé militaire du 14 juillet 1945 à la Bastille » 

 

Le 14 Juillet 1968 : le défilé d’après la « chienlit »

C’est l’occasion pour de Gaulle, qui avait déjà utilisé le défilé du 14 juillet 1958 pour montrer qu’il avait repris les affaires en main, de rappeler que la crise de mai est passée. C’est l’occasion aussi, après l’éviction de Pompidou, de la première sortie publique du Premier ministre, Maurice Couve de Murville, qui suit à ses côtés le défilé des troupes sur les Champs-Élysées, là même où, le 30 mai précédent, près d’un million de manifestants étaient venus clamer leur soutien à de Gaulle. La journée n’en sera pas moins émaillée d’incidents entre la police et des manifestants d’extrême gauche et des étudiants.

14 juillet 1968. Défilé militaire sur les Champs-Elysées

14 juillet 1968 – Défilé militaire sur les Champs-Elysées

 

Le 14 Juillet 1974 : de la Bastille à la République

Avec un défilé de la Bastille à la République, le 14 juillet 1974 est un 14 juillet « new look », selon le vœu du nouveau président, Valéry Giscard d’Estaing. La place de la Bastille est l’épicentre des manifestations, autour de la colonne de Juillet, et les soldats défilent à pied à travers les quartiers de Paris, comme à l’époque de la prise de la Bastille.

Les lieux du défilé varient pendant les cinq années suivantes (cours de Vincennes, Champs-Élysées, École militaire, Champs-Élysées, République-Bastille), mais, depuis 1980, les Champs-Élysées sont redevenus le cadre du défilé.

 

Le 14 Juillet 1989 : le bicentenaire de la Révolution

 

La cantatrice américaine Jessye Norman interprétant la Marseillaise 14 juillet 1989

La cantatrice américaine Jessye Norman interprétant la Marseillaise, 14 juillet 1989

 

Le 14 Juillet 1989 a été un moment fort des manifestations de la célébration du bicentenaire de la Révolution française. De nombreux chefs d’État étrangers assistent au défilé militaire traditionnel et au spectacle monumental de Jean-Paul Goude sur le thème des « tribus planétaires ». Le défilé est retransmis en direct à la télévision dans 102 pays. Cette célébration atypique du 14 Juillet suscita des polémiques mais rencontra un grand succès populaire.

 

1989 Le spectacle du bicentenaire conçu par Jean-Paul Goude

Le spectacle du bicentenaire conçu par Jean-Paul Goude

 

Le 14 Juillet 2007 : sous le signe de l’Europe

Le défilé du 14 juillet 2007 est placé sous le signe de l’Europe, avec la présence inédite de détachements des 27 pays membres de l’Union et des présidents en exercice de l’Union européenne (UE), de la Commission européenne et du Parlement européen. Le Chœur des armées françaises et les petits chanteurs à la Croix de bois entonnent l’Hymne à la joie.

Et le feu d’artifice ?

Très ancienne, la tradition du feu d’artifice n’a pas toujours eu le sens festif qu’on lui connaît aujourd’hui. C’est, en fait, un des rares symboles de la monarchie que le peuple français a souhaité garder. Sous la Monarchie absolue, lors des fêtes royales et princières – victoires, mariages, baptêmes…, on donnait beaucoup de feux d’artifice.

Délaissé durant plusieurs années, c’est sous la IIIe République qu’il fait sa réapparition, à la fois comme spectacle pour le peuple et vecteur d’enseignement politique. Le feu d’artifice est ainsi devenu un symbole très populaire du 14 juillet

Le feu d'artifice du 14 juillet 2014

A Paris, le feu d’artifice du 14 juillet 2014 rappelait la commémoration du centenaire de la Première Guerre mondiale

 

 

Et le bal des pompiers ?

Contre toute attente, la tradition du bal des pompiers débarque assez tardivement, dans les années 1930… A cette époque, le pompier est un personnage très important, qui représente l’armée au service du peuple. C’est donc naturellement qu’il a toujours été associé aux festivités du 14 juillet, que ce soit pour surveiller que tout se passe bien durant les feux d’artifice ou pour défiler dans les petites communes sans militaires.

Alfred Fié Le bal du 14 juillet

Alfred Fié, Le bal du 14 juillet

Et pour finir, la parole est à Georges Brassens :

« Le jour du quatorze-Juillet,
Je reste dans mon lit douillet ;
La musique qui marche au pas,
Cela ne me regarde pas.
Je ne fais pourtant de tort à personne,
En n’écoutant pas le clairon qui sonne ;
Mais les braves gens n’aiment pas que
L’on suive une autre route qu’eux…»

Pour en savoir plus :

Christian Amalvi, « Le 14-Juillet », dans Pierre Nora (dir), Les lieux de mémoire, t. 1 « La République », Paris, Gallimard, 1996.

Remi Dalisson, Célébrer la nation, les fêtes nationales en France de 1789 à nos jours, Paris, Nouveau monde éditions, 2009.

Perdiguier en bande dessinée

Une plaque en hommage à Agricol Perdiguier

Les Compagnons de l’Union Compagnonnique des Devoirs Unis et la Société des Compagnons et Affiliés, Menuisiers et Serruriers du Devoir de Liberté annoncent l’inauguration d’une plaque en hommage à

Agricol PERDIGUIER

le samedi 4 juin 2022, à 14h30,
au 16, passage de la Bonne Graine, Paris 11e

Plaque Perdiguier 4 juin 2022

Invitation à la pose de la plaque à la mémoire d’Agricol Perdiguier

 

Agricol Perdiguier, dit Avignonnais la Vertu (1805-1875)

Compagnon menuisier du Tour de France, écrivain et député, il repose au cimetière du Père-Lachaise (85e division), sous un curieux monument, en forme de ruche symbolisant le travail collectif. Selon sa volonté, il a eu droit à des funérailles civiles. Perdiguier est sans doute le compagnon du devoir (de liberté) le plus connu des historiens et sa tombe fait toujours l’objet de fréquentes commémorations de Compagnons de tous rites.

Perdiguier, une ruche comme symbole

Tombe d’Agricol Perdiguier au cimetière du Père-Lachaise (85e division)-PG

Compagnon du Tour de France

En 1823, à 17 ans, il entre chez les Compagnons d’Avignon pour apprendre le dessin technique (l’art du trait) et devient affilié chez les Compagnons du Devoir de la Liberté. Bientôt, il commence son Tour de France qui va le mener de Marseille à Nîmes, puis à Montpellier, où il est fait compagnon reçu sous le nom d’Avignonnais la Vertu, de Béziers à Bordeaux, enfin de Nantes à Chartres où il devient compagnon fini.

Puis, il gagne Lyon où il est placé à la tête de sa « Société » comme premier compagnon, puis dignitaire.

Dans toutes ces villes, il découvre le combat fratricide des différentes sociétés de compagnonnage, reflet des conflits sociaux de cette époque. Convaincu de l’inutilité des conflits entre compagnons de différents devoirs, pour faire mieux passer ses idées sur « l’indispensable réunification », il compose des chansons qu’il réunit en cahiers et fait distribuer gratuitement à travers la France.

Perdiguier et l'indispensable réunification

La réconciliation des compagnons. Lithographie éditée par A. Perdiguier. Cliché MUCEM

Perdiguier complète son éducation, lit beaucoup, notamment les poètes et Voltaire. En 1839, il publie son célèbre Livre du Compagnonnage, le premier écrit sur les compagnons et par un compagnon, qui attire l’attention d’intellectuels comme Eugène Sue et George Sand, dont il devient un ami très proche. Paru à compte d’auteur, cet ouvrage, tout en décrivant les différents Devoirs compagnonniques,dénonce leur manque de fraternité et propose de moderniser les structures, de développer le rôle de société de secours mutuel et de formation professionnelle.

Livre d'Agricol Perdiguier

Le Livre du Compagnonnage, éd. 1857

À travers ses ouvrages publiés ensuite, Perdiguier se montre l’ardent ouvrier de la réconciliation entre les différentes sociétés de compagnonnage. Pour lui, tout passe par l’éducation et la lecture.

Malade des yeux, blessé à la main, il doit abandonner l’établi pour se consacrer à l’enseignement du trait. Passionné par le livre et l’écriture, il ouvre à Paris, dans le faubourg Saint-Antoine, une librairie où il donne ses cours, fréquentée par Gambetta, Jules Ferry et d’autres acteurs sociaux de l’époque.

Ce travailleur autodidacte qui connaissait et citait Socrate, Platon, Aristote et… Machiavel, admirait chez les Modernes aussi bien Chateaubriand que Victor Hugo, Eugène Sue et George Sand.

Républicain engagé et franc-maçon

Très actif durant la révolution de 1830, il se rapproche de son compatriote François-Vincent Raspail au cours de l’insurrection provoquée par les incidents du 5 juin 1832, lors des funérailles du général Lamarque.

Républicain de conviction, il prend position pour la laïcité de l’enseignement. La fraternité, l’entraide mutuelle et l’accès à l’instruction sont les moteurs de son action qui se déplace sur un terrain plus politique. En 1846, il est initié à la franc-maçonnerie, dans la loge parisienne « Les hospitaliers de la Palestine » du Suprême Conseil de France.

Perdiguier en bande dessinée

Agricol Perdiguier en BD par François Icher et Mor, Cairn, 2021

Défenseur des ouvriers charpentiers lors de la grève de 1845, combattant inlassablement la présence du « troisième ordre » (caste aristocratique et patronale) dans le compagnonnage, Perdiguier est conscient que la défense des travailleurs nécessite une action politique. Il répond à l’appel de Raspail, le 24 février 1848, lorsqu’il proclame la République à l’Hôtel de Ville de Paris.

Perdiguier se présente à la députation et, avec l’appui de Béranger, de Lamartine et de George Sand, il est élu dans la Seine et dans le Vaucluse. Il choisit la Seine et siège sur les bancs de la Montagne. Son opposition au coup d’État du 2 décembre 1851 lui vaut l’exil politique en Belgique. Il rejoint Genève, où il reprend son métier de menuisier et ses cours de dessin, et entretient une correspondance avec d’autres proscrits comme Victor Hugo et il écrit Mémoires d’un Compagnon en 1854.

Après la proclamation de la République, en septembre 1870, il est nommé maire-adjoint du 12e arrondissement de Paris, fonction qu’il occupe pendant le siège de la capitale. En tant qu’adjoint, il préside à l’élection des chefs de sections d’un grand nombre de compagnies de Gardes Nationaux et tente d’organiser la défense de Paris dans son secteur.

La maladie le contraint à démissionner et il continue ses combats par la plume pour le suffrage universel, l’abolition de la peine de mort, la liberté de la presse et la suppression du budget des cultes.

Agricol Perdiguier meurt à Paris, le 25 mars 1875, dans une grande pauvreté, laissant le souvenir d’un homme qui ne travailla qu’à un seul but : le bonheur et le bien-être des travailleurs.

Livre d'Agricol Perdiguier

Perdiguier, Mémoires d’un Compagnon, 1854

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Pour en savoir plus :

https://fr.wikipedia.org/w iki/Agricol_Perdiguier

Les Mémoires d’un compagnon ont été rééditées par Alain Faure, Maspero, 1977, La Découverte, 2002.

Les 2 tomes du « Livre du compagnonnage » (édition 1857) d’Agricol Perdiguier sont accessibles et téléchargeables ici :

Tome 1  : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5684793z?rk=42918;4  (322 pages)
Tome 2 : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5684841k?rk=21459;2# (310 pages)