Les 60 ans du Maitron
Les 60 ans du Maitron
Qu’y a-t-il de commun entre Madeleine Riffaud, Ambroise Croizat, Missak Manouchian, Joséphine Baker, Jacques Delors ? Ils ont tous un lien avec le 20e arrondissement, nous en avons parlé sur notre site et leur parcours figure dans le Maitron.
Comme le Larousse, le Harrap’s ou le Gaffiot, le Dictionnaire Biographique du Mouvement Ouvrier Français a pris le nom de son créateur, l’historien Jean Maitron. C’est en 1964 que parait le premier tome d’une série qui comportera plus de 70 volumes dans sa version papier, dictionnaires thématiques et internationaux inclus.
Jean Maitron, un historien militant d’origine populaire
Jean Maitron est né en 1910 dans la Nièvre, son grand-père était cordonnier, ses parents instituteurs. Il est lui-même instituteur jusqu’en 1955 dans la région parisienne, il enseigne ensuite pendant 3 ans dans un collège de Courbevoie, et ce n’est qu’à 48 ans qu’il obtient un détachement au CNRS. Militant communiste depuis 1930, après un aller-retour en 1934 il quitte définitivement le Parti Communiste en 1939 lors du pacte germano-soviétique qui est pour lui un grand choc et une trahison morale. Il décide alors de se consacrer à l’histoire sociale (« Je m’étais accroché à une bouée de sauvetage, l’histoire » écrit-il plus tard). Il entreprend après la guerre une thèse d’État sur l’histoire du mouvement anarchiste, il fonde le Centre d’histoire sociale et crée la revue l’Actualité de l’histoire qui deviendra le Mouvement social. Il est ainsi l’un des premiers introducteurs de l’histoire ouvrière à l’Université.
La folle aventure du Maitron
Jean Maitron commence en 1954 la création des fiches biographiques qui constitueront le dictionnaire. Il lance en 1958 un appel en vue d’une collaboration à la réalisation d’un Dictionnaire Biographique du Mouvement Ouvrier Français et réunit ainsi une première équipe d’une centaine d’historiens pour bâtir cette œuvre collective ; pendant 60 ans, plus de 1 500 personnes contribuent ou ont contribué au dictionnaire en rédigeant des notices biographiques.
Le dictionnaire comprend aujourd’hui environ 220 000 notices. Il est découpé en cinq périodes :
- 1789 – 1864 : De la Révolution française à la fondation de la première Internationale
- 1864 – 1871 : De la fondation de la première Internationale à la Commune
- 1871 – 1914 : De la Commune à la Grande Guerre
- 1914 – 1939 : De la Première à la Seconde Guerre mondiale
- 1940 – 1968 : De l’Occupation à Mai 68
Déjà couramment appelé le Maitron par ses utilisateurs, le dictionnaire prend officiellement le nom de son fondateur en 1981 à la demande de l’éditeur.
Parallèlement, l’équipe du Maitron publie des dictionnaires biographiques internationaux (Autriche, Grande-Bretagne, Japon, Chine, Maroc, Komintern, La Sociale en Amérique, Algérie…) et thématiques (gaziers-électriciens, cheminots, anarchistes, enseignants et personnels de l’éducation, militants du Val-de-Marne, ouvriers du livre, du papier et du carton…)
Le Maitron après Jean Maitron
Claude Pennetier, son plus proche collaborateur, est associé à la direction de l’ensemble de l’œuvre à partir de 1984. Lorsque Jean Maitron décède en 1987, la 4e période 1914-1939 n’est pas encore achevée et Claude Pennetier reprend le flambeau.
A la fin des années 90, les quelques 70 volumes papier deviennent encombrants sur les étagères des bibliothèques, le Maitron prend alors le virage du numérique en éditant des CDRom, puis en créant un site internet à accès restreint. Depuis décembre 2018, le site du Maitron est ouvert gratuitement à tous, les 220 000 notices sont accessibles à tout public. Chaque mois, 100 000 internautes y naviguent.
Pour la 5e période, de l’Occupation à Mai 68, de nouvelles formes d’engagement militant (mouvements anticolonialistes, féministes, anti-nucléaires, …) sont intégrées et Claude Pennetier change l’intitulé de l’ouvrage qui devient Dictionnaire biographique, mouvement ouvrier, mouvement social.
Si les femmes ne sont pas oubliées, elles représentent malheureusement une faible partie des notices (à peine 12 000 sur un total de 220 000), les sources les concernant étant très restreintes.
Une œuvre collective plurielle
Depuis 1964, le Maitron est édité par les Éditions Ouvrières, à l’origine maison d’édition de la JOC (Jeunesse Ouvrière Chrétienne), devenues en 1993 les Éditions de l’Atelier. Profondément attaché à l’école laïque, Jean Maitron manifeste du respect pour l’apport du christianisme social au mouvement ouvrier ; dès le début, le directeur des Éditions Ouvrières soutient ce projet un peu fou et ils coopèrent donc sans état d’âme.
Jean Maitron a été un maître d’œuvre tenace dont l’autorité intellectuelle et morale a permis de réunir des historiens aux options politiques et sociales différentes (socialistes, communistes, anarchistes, libertaires, chrétiens, libéraux…) et aux formations diverses.
Dans l’avant-propos de la quatrième période, il écrit :
Certes il leur a été promis par moi, à l’aube de tout engagement, que leur serait effectué, lors de l’édition, le versement d’une quote-part de droits d’auteur, mais je leur suis reconnaissant de n’avoir jamais plus soulevé ce problème par la suite. Je tiendrai parole mais je suis cependant fondé à parler, en ce qui les concerne, de travail gratuit, de travail passionné et militant, ce qui en dit toute la valeur et une telle collaboration confère au Dictionnaire une qualité qu’aucun autre genre d’édition ne peut escompter…
« Doute et agis »
La dimension militante de l’ouvrage s’accompagne d’une qualité scientifique de renommée internationale.
La singularité de la démarche de Jean Maitron réside dans le choix historiographique de ne pas se contenter de faire figurer les grands dirigeants des organisations du mouvement ouvrier, les noms les plus connus, mais d’aller chercher les oubliés de l’histoire, « les obscurs, les sans-grade », comme il le disait, dont les notices sont parfois réduites à quelques mots, faute d’information disponible sur ces anonymes.
Pour lui, les « grands » et les « petits » ont autant d’importance et méritent leur place dans le dictionnaire. C’est aussi un choix politique dans la manière d’aborder le mouvement ouvrier que de refuser le culte des dirigeants.
Historien de gauche sans sectarisme, Jean Maitron a pris ses distances par rapport à une histoire hagiographique et a fait sienne la maxime « Doute et agis ».
Depuis 60 ans, la folle entreprise du Maitron est une œuvre collective monumentale toujours en construction.
Les 60 ans du Maitron
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