Ambroise Croizat père de nos retraites
Ambroise Croizat père de nos retraites
Notre système de retraite est à la une de l’actualité. Le projet présenté en janvier a provoqué de nombreuses réactions et fait encore beaucoup parler de lui : vote à l’Assemblée et au Sénat, grèves, manifestations, tentatives de rencontres, appel au Conseil Constitutionnel, et toute cette actualité qui rebondit chaque jour … Mais revenons aux sources pour mieux comprendre de quoi nous parlons actuellement avec ce projet de loi.
Quelle est la véritable origine de notre système de retraite actuelle ? En quelle année a été imaginé puis élaboré le système de répartition ? Et qui est Ambroise Croizat dont si peu de gens se souviennent malgré l’immense ouvrage qu’il laisse à l’ensemble des Français, aujourd’hui au centre des préoccupations ? Qui prononce encore son nom en 2023 alors que se joue aujourd’hui ce qui fut mis en place après-guerre ?
L’origine de la construction « des Jours Heureux »
En mai 1944, le journal Libération pour la zone Sud publie sous le titre « Les Jours Heureux » le programme du Conseil national de la résistance (CNR). Il commence par ces mots :
« Née de la volonté ardente des Français de refuser la défaite, la Résistance n’a pas d’autre raison d’être que la lutte quotidienne sans cesse intensifiée. »
En 1944-1946, concernant la sécurité sociale et l’assurance vieillesse, telle qu’elle était nommée à l’époque, l’ordonnance sur l’assurance vieillesse du GPRF – Gouvernement provisoire de la République française – met en place ce qui constitue encore aujourd’hui le socle du système de retraite. Changement majeur, le système repose non plus sur la capitalisation, mais sur la répartition, principe déjà mis en place en 1941 où l’allocation pour les vieux travailleurs était déjà financée par les cotisations versées par les actifs en vue de leur pension. Et déjà des débats avaient lieu sur l’âge de la retraite : « Nous risquons donc de voir arriver le moment où les travailleurs actifs ne pourront nourrir les vieillards. »
Il y a en effet à la Libération un consensus politique, une aspiration commune entre gaullistes et communistes sur les questions économiques et sociales qui n’ont jamais eu d’autre équivalent dans l’Histoire contemporaine, correspondant à une vraie attente de la part de ceux qui étaient nés vers 1900, et avaient vécu la première et la seconde guerres mondiales, de construire un monde meilleur, plus juste et plus égalitaire. D’où le passage d’une logique d’assurance, où chacun cotise pour soi, à une logique de transfert social, où l’on cotise pour les autres, ceux dans le besoin.
« Jamais le problème des retraites ne s’est posé avant autant d’acuité qu’à présent », lit-on en août 1945 dans Forces nouvelles, journal du Mouvement républicain populaire (MRP), alors que se prépare la réforme de « l’assurance vieillesse ». « Autrefois, le “vieux” terminait ses jours entre ses enfants. Aujourd’hui, parce que sa famille est dispersée et que l’exiguïté des salaires permet à chacun seulement de s’entretenir, le “vieux” doit compter sur lui et se garantir contre les mauvais jours. Seulement, dans la plupart des cas, il est incapable de réaliser seul les économies nécessaires pour la constitution d’une retraite même modeste. […]. C’est pourquoi l’assurance-vieillesse collective s’est largement développée : elle est devenue un problème national ».
Les ordonnances des 4 et 19 octobre 1945 donnent un cadre légal à la Sécurité sociale souhaitée par le CNR. L’application de ces ordonnances est donc la conjugaison fructueuse de deux gaullistes et d’un communiste. D’abord préparées par Alexandre Parodi, gaulliste, entre septembre 1944 et octobre 1945, elles vont être mises en place par Ambroise Croizat, son successeur au Ministère du travail et de la Sécurité sociale, communiste, et par Pierre Laroque pour sa mise en place, gaulliste.
L’application concerne, outre la retraite par répartition :
- la mise en place de la Sécurité sociale,
- le doublement des allocations familiales,
- l’augmentation de 50 % des heures supplémentaires,
- la suppression de l’abattement de 10 % sur les salaires féminins,
- l’amélioration du droit du travail français en renforçant les comités d’entreprise,
- l’organisation et la généralisation de la médecine du travail,
- le statut du travail des mineurs.
La question de la pauvreté des vieux travailleurs avait commencé à se poser dès la fin du XIXe siècle.
Le parcours engagé d’Ambroise Croizat
Ambroise Croizat nait à Briançon en 1901 dans une famille de « métallos ». Dès 1914, alors âgé de 13 ans, il commence à travailler en usine lorsque son père est appelé sous les drapeaux. Apprenti métallurgiste, il devient ouvrier ajusteur-outilleur dans la région lyonnaise. Il s’engage alors dans l’action syndicale. En 1917, à peine âgé de 16 ans, il s’inscrit aux Jeunesses socialistes et adhère en 1918 à la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO), il anime alors les grandes grèves de la métallurgie lyonnaise. Il entre ainsi au Parti communiste dès sa fondation en 1920 et en est l’un des dirigeants des Jeunesses communistes de 1920 à 1928. De 1929 jusqu’à sa mort en 1951, il restera membre du comité central, puis membre du Bureau de la Fédération de la jeunesse.
Du syndicalisme à l’action politique
En 1936, au moment où se réalise l’unité syndicale, il devient secrétaire général de la Fédération unique des métallurgistes CGT. Élu député communiste de Paris à l’heure où Léon Blum devient président du Conseil des ministres, il participe activement aux grands acquis sociaux du Front Populaire : congés payés, semaine de 40 heures, conventions collectives, entre autres. Il est en particulier négociateur de la convention de la métallurgie parisienne, rapporteur sur la loi des conventions collectives à la Chambre.
Arrêté et incarcéré en 1939, puis libéré en 1943, trois mois après le débarquement allié en Afrique du Nord, il est nommé par la CGT clandestine à la commission consultative du gouvernement provisoire d’Alger (GPRF).
Ambroise Croizat est nommé successivement ministre du Travail, du 21 novembre 1945 au 26 janvier 1946 par Charles de Gaulle, président du gouvernement provisoire de la République, puis ministre du Travail et de la Sécurité sociale du 26 janvier au 16 décembre 1946 et du 22 janvier au 4 mai 1947.
Il mènera jusqu’au bout une vie de militant « pied à pied », avec une envie de changer le monde. L’influence de son action au service des Français est cependant à l’époque sous-estimée, et reste jusqu’à aujourd’hui très peu connue. Il meurt d’un cancer du poumon le 11 février 1951.
Ambroise Croizat au Père Lachaise
Organisées par le Parti communiste français, les obsèques d’Ambroise Croizat, qui ont lieu le 17 février, sont à la mesure de l’œuvre qu’il laisse derrière lui. Son corps est exposé à la Maison des métallurgistes (aujourd’hui Maison des métallos) puis au siège de la CGT. Un million de personnes accompagnent en silence sa dépouille jusqu’au cimetière du Père Lachaise, ce « peuple de France qui l’avait aimé et à qui il avait donné le goût de la dignité » écrira-t-on le 18 février 1951 dans L’Humanité.
Pour les membres de l’AHAV, un article plus complet est disponible dans l’espace adhérent : L’invention sociale ou la croisade d’Ambroise Croizat
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