Entretien avec Georges Kiejman

Georges Kiejman, un gamin de Belleville

Nous connaissons bien Georges Kiejman, l’avocat et figure emblématique du monde judidiciaire au parcours exceptionnel. Il a été le défenseur de nombreuses personnalités médiatiques. Il vient de nous quitter le 9 mai 2023 à l’âge de 90 ans et il est utile de nous rappeler la carrière du célèbre avocat. 

Georges Kiejman a également joué un rôle politique en tant que proche collaborateur de Pierre Mendès-France et en a été un de ses secrétaires. Il a plus modestement assuré une carrière ministérielle, avec trois portefeuilles différents en deux ans, entre 1990 et 1993..

Kiejman, un proche de Mendes-France

Georges Kiejman travaillant avec Pierre Mendes-France-extrait LCP

Jeunesse et origines modestes à Belleville

Fils d’une famille juive polonaise, il est né à Paris et a passé une partie de sa jeunesse dans nos quartiers. Il se présente lui-même comme un enfant de Belleville.

Sa biographie a été écrite avec lui par Vanessa Schneider  L’homme qui voulait être aimé. Elle a été co-signée et publiée deux ans avant sa mort. En audio et produit ici par l’INA et la Fondation pour la mémoire de la Shoah, son témoignage direct -sous forme de quatre épisodes de 15 mn- se trouve également très facilement accessible sur plusieurs sites internet.

Issu d’une famille de prolétaires immigrés

Ses parents, arrivés en France en 1931, étaient des immigrants de la région de Varsovie, et c’est l’année suivante que va naître à Paris le petit Georges. Son père exerçait un ou plusieurs métiers inconnus, dont il n’a jamais révélé les détails à la famille. La mère est illettrée et il la décrit comme « incapable d’instinct maternel ». 

Malheureusement, le père quitte le foyer familial avant la guerre, lorsque Georges avait 3 ou 4 ans, et si Georges l’a peu connu, il dit malgré tout l’avoir beaucoup aimé. Il en apprendra sa mort seulement en 1945, gazé à Auschwitz deux ans plus tôt.

Dans ses récits, Georges Kiejman partage une anecdote révélatrice de sa situation : « J’ai toujours porté les vêtements des autres ». Dès l’âge de 4 ans, il a appris à lire grâce aux livres empruntés à ses deux sœurs. Sa jeunesse a été marquée par des grandes difficultés financières, un challenge à relever pour nourrir ses grandes ambitions.

 

Les racines juives en héritage

Bien que ses parents étaient juifs, ils n’étaient pas pratiquants, et Georges Kiejman n’a pas été élevé dans la tradition religieuse. Lui se considère comme un « petit juif » immigré, mais la véritable conscience de son identité juive s’est surtout développée en réaction à la Shoah. Il se décrit lui-même comme étant à la fois profondément laïque et viscéralement juif.

Le gamin de Belleville

« Je suis né près de la rue des Rosiers que je n’ai pas fréquentée. J’ai vécu à Belleville beaucoup plus tard… Je suis un enfant de Belleville »

Georges Kiejman enfant

Georges Kiejman avec sa mère-extrait LCP

« Avant la guerre, j’ai vécu dans une toute petite pièce avec ma mère, une petite pièce que je retrouverai après la guerre, qui était une chambre d’hôtel de passe reconverti en immeuble dit d’habitation. Et j’allais à l’école du boulevard de Belleville »

Avant la guerre, à la suite des démarches de ses parents, il a pu acquérir la nationalité française.

Comme son père avait déjà quitté sa mère et, en 1939, s’était engagé en tant qu’étranger dans l’armée française, sa mère accepte de suivre la décision administrative de partir avec leur fils et ses deux sœurs dans le Berry… où le petit Georges deviendra même très brièvement enfant de chœur ; il retrouvera sa mère à Paris en 1946, pour habiter à nouveau dans cette minuscule chambre de Belleville du 11e arrondissement, très précisément au 13 rue de la Présentation. Il entrera quelques années plus tard au lycée Voltaire en classe de première.

Georges Kiejman, photo de classe

Georges Kiejman au lycée Voltaire-extrait LCP

À l’époque où il vit seul avec sa mère, ses deux sœurs habitent au 94 rue de Charonne, dans l’immeuble du Palais de la Femme géré par l’Armée du Salut.

Lorsque le jeune Georges est devenu étudiant, il donne à sa mère l’argent qu’il gagne  et une fois adulte, il s’en occupera jusqu’à la mort de celle-ci en 1974

Modifier son nom à double sens

Le nom paternel Kiejzman s’écrit à l’origine avec un « z » après le « j ». Il faut savoir que dans l’alphabet polonais, il existe une lettre double qui s’appelle le « jz ». Alors une fois devenu tout jeune avocat, il souhaite supprimer le « z » de son nom. Il le justifie ainsi :

« Ce « z » avait fait l’objet de beaucoup d’éclat de rire auprès de mes petits camarades quand j’épelais mon nom ».

Il relate cette anecdote à Pierre Assouline qui l’interroge un an avant sa mort : l’historien -ici en tant qu’animateur de l’émission d’Akadem TV- rebondit complaisamment sur le sujet. Pierre Assouline lui propose une formulation donnant un sens plus profond à cette modification du nom : « vous l’avez dépolonisé, mais vous ne l’avez pas déjudaïsé ».

Georges Kiejman en apprécie immédiatement l’idée, au point de se l’approprier en le répétant avec un sourire complice.

Sa vocation d’avocat

Au début de sa jeunesse, il a dû exercer plusieurs petits métiers pour pouvoir vivre. Mais à l’heure du choix de sa carrière, en quoi le métier d’avocat correspond-il à sa vocation ? Il y répond très simplement :

« Je n’avais pas conscience ni connaissance du droit, mais on me disait : il cause bien le petit Georges, il sera avocat, et cette idée m’est restée en tête. »

Et c’est ainsi quen décembre 1953, Georges Kiejman prête serment au barreau de Paris, alors qu’il a seulement 21 ans, et dès l’année suivante il obtient la coupe d’éloquence des jeunes avocats. Tout cela se passait il y a tout juste 70 ans, une longue carrière s’en est suivie. Elle se terminera à l’âge de 90 ans.

Ci-dessous au Père Lachaise, les différentes personnalités qu’il a représentées

Tombe de Montand et Signoret au Père Lachaise-PG

Montand et Signoret au Père Lachaise-PG

 

Tombe de Tignous

Charlie Hebdo, Tignous au Père Lachaise

Tombe de Malik Oussekine

Stèle de Malik Oussekine au Père Lachaise-PG

Tombe de Pierre Goldman

Pierre Goldman au Père Lachaise-PG

Tombe de Marie Trintignant

Marie Trintignant au Père Lachaise-PG

 

 

L'enceinte de Thiers (Paris)- la muraille, le fossé, le talus de défense, et des petits zonards faisant paître leurs chèvres

 

Du périph vers une ceinture verte

 

« Une ceinture grise que nous voudrions voir transformer en ceinture verte ». C’est ainsi que le 18 mai 2023 Anne Hidalgo, maire de Paris, a présenté son projet de mutation du périphérique parisien. Rappelons qu’actuellement un million de voitures et camions y circule à 35 km/h en moyenne chaque jour.

La maire de Paris (PS) propose de réserver l’une des voies aux bus, taxis et autres transports en commun; face aux nécessités exprimées de davantage de nature, elle envisage également de faire planter environ 50 000 arbres sur le terre plein central, sur les bretelles et partout où cela est possible.

L’ensemble du projet avec en ligne de mire les jeux olympiques de 2024, avec temporairement une « voie olympique » réservée aux participants. Il est vrai que l’approche de ces jeux olympiques accélère le passage de l’idée de transformation d’un ouvrage, face aux nombreux projets mis sur la table depuis tellement d’années.

La mairie de Paris envisage ainsi de revenir, très modestement, à l’idée qu’avait eue en 1880 Adolphe Alphand de transformer par une ceinture verte les terrains de l’enceinte de Thiers.

 

Future ceinture verte incluant une zone de 500 mètres de part et d'autre du Périph'

Projet 2023 de ceinture verte élargie du Périph – Apur

Histoires avortées d’une ceinture verte

 

Il faut dire que l’intérêt de l’enceinte de Thiers avait été déjà critiqué dès sa construction en 1840. Les progrès de l’artillerie vont dans ce sens et dès 1882, son inutilité pour la défense de Paris est devenue manifeste, au point d’y envisager son démantèlement. Finalement déclassées par la loi du 19 avril 1919, les fortifications seront progressivement détruites jusqu’en 1929.

Que faire de cet immense espace en bordure de Paris qui, dès 1890, est occupée par des barraques en bois servant de domicile à des miséreux ? Près de 30 000 personnes y vivent dans des conditions désastreuses.

Le projet d’Adolphe Alphand

 

 

Portrait d'Alphand en 1888, par Alfred Roll

Portrait d’Adolphe Alphand, 1888, par Alfred Roll – Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris, Petit Palais.

Adolphe Alphand (enterré au Père-Lachaise) a été appelé en 1855 par le baron Haussmann (également au Père-Lachaise) pour diriger le nouveau service municipal des Promenades et Plantations. C’est à lui que nous devons la création de nombreux parcs et squares à Paris. Il reste en service sous Thiers et aurait voulu réaliser une grande ceinture verte entourant Paris, avec des hôtels et des lieux d’amusement. Ce projet ne verra pas le jour.

De nombreux projets de ceinture verte

 

Enceinte de Thiers - Porte de Bagnolet

Porte de Bagnolet. Fortification. Enceinte de Thiers, 1919 – Musée Carnavalet

Plus tard, entre 1900 et 1914, de multiples projets ont été étudiés et discutés pour l’utilisation des terrains après le démantèlement de l’enceinte, nous n’en citerons que quelques-uns.

Dans un rapport de 1908 au conseil municipal, Ambroise Rendu écrit :

« Créer des parcs et des places de jeux devenues nécessaires dans les quartiers périphériques surpeuplés, les réunir par une suite non interrompue de promenades et de monuments, tel est le but qui doit guider l’État dans sa décision au sujet des terrains militaires des fortifications désaffectées ».

Il propose de

« créer dans un délai de cinq ans sur leur emplacement, neuf parcs d’une contenance moyenne de 15 hectares sans qu’aucun d’eux puisse être d’une surface inférieure à 10 hectares; d’aménager dans l’intervalle, des places de jeux ayant au moins un hectare et relier l’ensemble par une large avenue dont les dispositions pourront être variables, mais dont la largeur ne sera pas inférieure à 70 mètres ».

D’autres projets sont étudiés comme celui de Dausset qui veut transformer la zone en parcs et jardins, la grevant d’une servitude non plus « défensive » mais « hygiénique ». Pour créer un mouvement d’opinion à l’appui de son projet, Louis Dausset suscite la création d’une « ligue pour les espaces libres et les sports ».
Celle-ci préconise la création d’une ceinture verte de 210 hectares et d’un chapelet de onze parcs de 370 m de largeur moyenne.

Le projet de Louis Dausset en 1913 - Nord de Paris

Le projet de Louis Dausset en 1913 - Est de Paris

Projet d’espace vert sur les fortifications par Louis Dausset en 1913

 

Le 1er juillet 1908, Jules Siegfried propose la création de quatre grands parcs sur la Ceinture. Entre 1910 et 1912, Eugène Hénard présente un plan global d’aménagement en proposant, comme Jules Siegfried, des grands parcs au lieu d’une ceinture verte continue.

En Allemagne, le remplacement des fortifications de Francfort par un anneau de promenade est un sujet de discussions passionnées. Un journaliste, Jules Huret, ironise en 1907 sur l’amour de la nature des Français

« En France quand on démolit des remparts on cherche immédiatement à faire de l’argent avec le prix des terrains » alors qu’en Allemagne « on pense tout de suite à y tracer des promenades et à y planter des arbres et l’on bâtit plus loin ».

Tout ces projets avorteront.
Les problèmes de circulation à une époque où la voiture devient reine, le besoin de logements sociaux après la guerre de 14-18 feront que ces projets ne seront que très partiellement réalisés : on bétonnera la zone en construisant le boulevard des Maréchaux, puis une ceinture de logement en brique (les HBM) et enfin le boulevard périphérique.

Les projets de 2023 tournent en rond

Aujourd’hui, on est très loin des ambitions d’hier et les discussions sont animées entre, d’une part, la ville, qui veut construire des logements sociaux et des bureaux sur une partie des terrains disponibles, et, d’autre part, les écologistes qui refusent toute nouvelle construction.

Le projet de l’aménagement de la porte de Montreuil en est un exemple : la mairie propose un projet comprenant un chapelet de huit immeubles en bordure de la zone, avec, entre autres, des bureaux et un hôtel. Les écologistes présentent un contre-projet sans construction nouvelle.

Et les discussions animées restent toujours en cours.

Fouilles Saint-Germain-de-Charonne

Conférence : l’archéologie parisienne et la fouille de l’église de Charonne

Notre association porte le nom « d’Histoire et d’Archéologie » et il faut reconnaître que nous abordons rarement le thème de l’archéologie. Nous en connaissons bien-sûr la raison : le 20e n’est pas très riche en ce domaine. D’où l’idée d’inviter un expert de la Ville pour nous aider à en savoir davantage dans ce domaine, sur Paris et sur notre arrondissement.

La conférence a lieu le jeudi 15 juin à 18h30 précises à la mairie du 20e

De sa naissance au XIXème siècle jusqu’à aujourd’hui, l’archéologie parisienne a profondément renouvelé ses méthodes et ses problématiques. Une présentation de ces évolutions permettra de mieux comprendre notamment la fouille récente de l’église Saint-Germain de Charonne.

Archéologie à Saint Germain de Charonne

Rapport de fouille de l’église Saint-Germain de Charonne

L’opportunité des travaux d’Haussmann

À cette occasion, rappelons que nous fêtons cette année les 170 ans de la nomination du préfet Haussmann à Paris, devenu surtout  célèbre par ses travaux et constructions qui ont transformé la ville. Qui dit travaux, dit destruction avant construction et au XIXème siècle, la préservation du patrimoine va prendre toute son importance avec les moyens matériels et humains pour sa recherche, sa collecte et sa protection.

Patrimoine visible et patrimoine caché

Pour assurer cette large mission, la Ville de Paris dispose de son Pôle archéologique, rattaché à la Direction des Affaires Culturelles (DAC). Cette Direction est dirigée depuis l’an dernier par l’ancienne ministre Aurélie Filipetti, et le pôle archéologique est lui-même issu à l’origine de la Commission du Vieux Paris.

Notre conférencier, Julien Avinain, est le responsable du Pôle archéologique de la Ville de Paris.

 

Porte de Bagnolet éclairé

50 ans après, le périph parisien a-t-il encore un avenir ?


Il a un demi-siècle exactement, le 25 avril 1973, le boulevard périphérique parisien – vite rebaptisé en « périph » – bouclait la boucle (35 km) en signant la fin de près de vingt ans de travaux. Balayés « les fortifs » et « la zone »… et les rêves hygiénistes de la « ceinture verte ». En ce temps-là, la voiture toute puissante dominait tout et Pierre Messmer, premier ministre de Pompidou, saluait « la grande œuvre [qui devait] améliorer la circulation » des Parisiens et de leurs voisins. Mais, après l’euphorie des premiers temps, on déchanta vite… et aujourd’hui le périph parisien s’interroge sur son avenir.

Porte de Bagnolet - bretelle d'entrée du boulevard périphérique

Entrée du périphérique à la porte de Bagnolet

Un coup d’œil dans le rétro

Vers 1840-1843, le gouvernement de Thiers fait édifier tout autour de la « petite banlieue » mitoyenne de Paris, qui sera annexée en 1860, une enceinte militaire défensive destinée à protéger la capitale de toute menace d’invasion.

Faite de murailles imposantes, elle est doublée à l’intérieur d’une route militaire ou rue Militaire, large de 40 mètres, qui dessert les fortifications, et, à l’extérieur, côté banlieue, de fossés et d’un large glacis, zone non aedificandi de 250 mètres, sur laquelle sont strictement interdites toutes installations pérennes en dur. Ces fortifications créent une profonde rupture dans le tissu urbain entre Paris et sa banlieue. Mais, les techniques de la guerre évoluant, ces fortifications ne serviront jamais, sauf peut-être contre les Parisiens, pendant les sièges en 1870-1871.

Dans les années 1920, on en décide le démantèlement et on urbanise les terrains situés à l’extérieur des boulevards des Maréchaux. On y construit notamment les immeubles sociaux en briques rouge des « habitations à bon marché » (HBM) et des équipements publics, installations sportives et espaces verts, comme, dans l’Est parisien, le square Séverine ou le parc de la Butte du Chapeau Rouge.

Porte de Bagnolet vers 1900

Bagnolet, barrière et fortifications, vers 1900

Et aujourd’hui ?

Aujourd’hui, alors même qu’il fête son demi-siècle, le périph est devenu synonyme d’embouteillages (1,1 million de véhicules l’empruntent quotidiennement) et de nuisances, de bruit et de pollution qui impactent la santé et les conditions de vie des milliers de Parisiens et de résidents de la métropole vivant à ses abords.

Une réflexion menée depuis 2019 par la Ville de Paris (APUR) sur le devenir du périphérique parisien a abouti à la rédaction d’un « Livre blanc » prônant 40 mesures qui visent à transformer cette autoroute urbaine en boulevard urbain à l’horizon de 2030. Objectifs : réduire la pollution sur l’ensemble de la métropole et permettre aux plus de 500 000 Franciliens concernés de vivre mieux et en meilleure santé. Les transformations se dérouleront en plusieurs phases, avec des échéances à 2024 puis à 2030.

Porte de Bagnolet en 1966, construction de l'échangeur

Porte de Bagnolet en 1966, construction de l’échangeur 

Déjà quelques aménagements ont été livrés, comme notamment la couverture du périph à la porte des Lilas.

Mais, à quelques mois de l’ouverture des JO 2024, dans la logistique desquels le périph est appelé à tenir une place déterminante, le mouvement s’accélère et déjà une concertation a été lancée autour de la pérennisation d’une voie du périph réservée au covoiturage/bus/taxis.

Et d’ici 2030, les choses vont s’intensifier avec la transformation de certaines portes de Paris en places vertes (22 au total), la végétalisation large des abords du périph et l’optimisation et la prolongation des réseaux de transports en commun.

Ainsi continue de s’écrire la longue histoire du périphérique parisien.

Porte de Bagnolet avec les Mercuriales au fond

Porte de Bagnolet avec les Mercuriales au fond. Wikimedia.

Pour en savoir plus :

https://www.paris.fr/pages/de-la-ceinture-grise-a-la-ceinture-verte-comment-le-peripherique-va-se-metamorphoser-21145

L’autre monument du Bazar de la Charité

L’incendie du Bazar de la Charité a eu lieu un 4 mai. Cette manifestation caritative est liée à double titre au 20e arrondissement : tout d’abord lors des tous premiers pas de l’association organisatrice dès sa création en 1872, et bien évidemment par la suite avec le monument au Père Lachaise érigé après le drame. Nous reproduisons ici notre article paru le 18 mai 2021.

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De ce qui fut un drame devenu tristement célèbre, en mai 1897, l’incendie du Bazar de la Charité en a gardé la mémoire grâce à deux monuments bien distincts.

À travers ces deux lieux mémoriels, la séparation entre les Églises et l’État s’est ainsi concrétisée peu avant la loi de 1905 : chaque institution a marqué l’événement à son image : la Ville s’est chargée d’élever un monument laïc au Père-Lachaise, l’Église érigera une chapelle commémorative.

Le Bazar de la Charité, une vente de bienfaisance catholique

Cette manifestation est à l’initiative de L’Œuvre des cercles catholiques d’ouvriers. L’association avait été créée en 1871 par le comte Albert de Mun : lui est député, catholique social et royaliste.

L’objet de son association est clair : sept mois après la fin de la Commune, il souhaite « rechristianiser » le monde ouvrier.

Il est vrai qu’au moment de la Commune, le conseil municipal avait voté un décret à l’unanimité, sur la liberté de conscience et décrété « que l’Église est séparée de L’État » et que « le budget des cultes est supprimé ».

Albert de Mun choisit le 7 avril 1872 d’en inaugurer son premier cercle à Belleville –sur les vingt prévus à Paris- au 11 rue Levert, « sur ce sol fécondé par le sang des martyrs » en faisant référence au massacre de la rue Haxo.

 Bazar de la Charité, la violence du sinistre - Le Petit journal

Incendie Bazar de la Charité in Le Petit Journal 10 mai 1897

La tragédie du 4 mai 1897

L’incendie est dû à une nouvelle distraction de foire : le cinématographe. La lampe de projection fonctionne à l’éther, et les vapeurs d’éther s’enflamment.

Les victimes : presque toutes des femmes aristocratiques ou de la grande bourgeoisie.

Le nombre de victimes décédées : Le Petit Journal en dénombre 121 (110 femmes, 6 hommes, 5 non identifiés) … dont celle de la duchesse d’Alençon, la sœur de l’impératrice Sissi.

Très peu d’hommes sont morts mais certains ont fui sans porter secours aux victimes. Dans la presse, ces hommes du « monde » en fuite sur place, sont qualifiés de « chevaliers de la pétoche » et de « marquis d’Escampette ».

Dans L’Écho de Paris du 14 mai 1897, la journaliste féministe Séverine titre son article en « une » et sur deux colonnes : « Qu’ont fait les hommes ? » Elle rapporte notamment le témoignage d’une religieuse : « des messieurs m’ont jeté à terre, foulée aux pieds. Ils abattaient les dames à coup de poing pour faire plus vite. C’est une jeune fille qui m’a sauvé ».

Quelques années plus tard, les deux monuments

 

Deux ans plus tard, avec la délibération du conseil municipal validée par arrêté préfectoral du 28 février 1899, la Ville peut faire élever ce monument au Père Lachaise, modeste par sa taille : 1,20 mètre de large sur 2 mètres de long. L’architecte Formigé en a dessiné le plan, lui-même étant plus connu par sa réalisation du crématorium tout proche.

Le monument est dédié « Aux victimes de l’incendie non reconnues » et en juillet 1899, trois ou quatre corps de victimes non identifiés sont déposés en concession gratuite dans le caveau. Beaucoup de victimes de l’incendie sont par ailleurs enterrées au Père-Lachaise.

Bazar de la Charité, la chapelle initiative catholique

Bazar de la Charité, la chapelle rue Jean Goujon

De son côté, le cardinal Richard lancera une souscription pour construire, sur le lieu- même du drame (au 23 rue Jean Goujon, dans le 8ème arrondissement) une chapelle commémorative. Celle-ci sera construite en 1901 grâce au financement des familles des victimes, réunies d’abord sous forme de Société Civile Immobilière, puis en tant qu’association 1901 :

Mémorial du Bazar de la Charité

Un drame, deux monuments.

Animaux vivant au Père Lachaise

La place des animaux parisiens depuis le moyen-âge

 

Il suffit qu’un loup d’Eurasie soit percuté par une voiture en forêt de Fontainebleau (le 11 janvier 2023) pour que le Parisien aussi bien que la presse nationale s’empare du sujet.

Plus près de nous, des renards, des fouines, des hulottes, des chauves-souris et des hérissons se sont durablement installés au Père-Lachaise. Les poissons reviennent dans la Seine et, d’après la Mairie de Paris,nous devrions bientôt pouvoir nous baigner.

Mais en vingt ans 72% des moineaux ont disparu et, en réponses à ces nombreux signaux, les perspectives d’avenir tendent à l’intégration de la nature dans nos projets urbains. Celui de la porte de Montreuil devrait voir la construction de plusieurs bâtiments sur un espace à végétaliser, comme le demandent les écologistes parisiens.

L’exposition actuelle au pavillon de l’Arsenal, ouverte du 29 mars au 3 septembre 2023, nous retrace l’histoire de l’animal à Paris.

La vie urbaine des animaux au Moyen Âge

Au Moyen Âge, porcs et cochons se promenaient librement dans la ville.
En 1131, le prince Philippe , fils ainé du roi Louis VI « le Gros », meurt à Paris à cause d’une chute de cheval due à un cochon errant. Une mort à l’origine de l’interdiction de la « divagation », l’errance des porcs dans les rues de Paris… interdiction à l’exception de ceux appartenant au clergé.

Les volailles sont aussi très présentes et par ailleurs les parisiens apprécient les poissons de la Seine, en particulier les perches.

Plus dangereux : des meutes de loups s’aventurent dans la ville. Dans les années 1430, des dizaines de personnes succombent à des attaques de loups. Une meute particulièrement féroce, menée par un loup sans queue, que les Parisiens nomment « Courteau », sévit dans l’est parisien, il sera abattu en face de la cathédrale Notre-Dame.

Traire les vaches dans le 16e arrondissement

Vaches laitières, exploitation marchande près de la tour Eiffel, vers 1895-PHD

Quant aux vaches, si elles restent en périphérie de la ville, le cheval et l’âne sont eux largement utilisés en ville. Des rues nous rappellent ce passé, comme la rue de Bièvre, du gaulois « bebros » qui signifie le castor, et la rue aux Ours, « oes » en bas latin, qui signifie non pas ours mais « oie ».

Finalement par décision sous forme d’édits, en particulier l’édit royal de 1539 tel qu’enregistré au parlement de Paris, amèneront l’interdiction des animaux errants, source de nuisances et d’accidents.

Une ville aux 80 000 chevaux.

Au 19ème siècle, les cochons errants et les loups ont depuis longtemps disparu et le cheval a envahi la ville. En 1880, on en compte près de 80 000 appartenant à environ 9 800 propriétaires, dont environ un quart est utilisé par la Compagnie Générale des Omnibus.

Les chevaux exploités par la CGO

Un omnibus Madeleine-Bastille-PHD

À cette époque, le cheval est le moyen le plus répandu pour le transport des marchandises (maraîchage, matériaux, déchets etc.) et des humains. En 1907, Paris compte 60 000 véhicules hippomobiles et 45 lignes en fonctionnement. La rue des Pyrénées sera creusée en tranchée pour permettre la montée des hippomobiles.

Tous les soirs, les chevaux rejoignent leurs dépôts parisiens qui servent de greniers à fourrage, de remises de voitures, d’écuries et d’ateliers. Une multitude de métiers (palefreniers, cochers, bourreliers, maréchaux-ferrants etc.) travaillent autour de ce mode de locomotion.

Le cocher reçoit le chapeau pour son cheval

en aout 1901, la SPA offre des chapeaux pour chevaux, les protégeant soleil.

En 1914, le nombre d’automobiles correspond au double de celui des voitures hippomobiles qui bientôt auront complètement disparues.

60 espèces d’oiseaux

On trouve à Paris 60 espèces d’oiseaux. L’épervier s’y est installé ainsi que le faucon pèlerin. Le plus petit oiseau parisien est le roitelet huppé qui ne pèse que cinq grammes. Trois espèces de pigeons fréquentent Paris. Le biset aime les greniers, les halls de gare et les immeubles, le pigeon ramier niche dans les arbres, quant au pigeon colombin, très discret, il préfère les toits pour surveiller son territoire.

Le chant des oiseaux s’est adapté à l’environnement sonore urbain, les espèces qui se sont le mieux adaptées sont celles qui émettent leur chant à des fréquences élevées. Certaines espèces disparaissent comme le moineau domestique et le martinet. D’autres apparaissent comme la tourterelle turque qui, depuis 1952, colonise de vastes espaces.

À noter également, l’impact de la rénovation des façades qui entraîne la suppression d’anfractuosités permettant aux moineaux et aux mésanges de nicher… et auquel s’ajoute la prolifération des chats, une catastrophe pour beaucoup d’espèces d’oiseaux.

La nature en ville d’aujourd’hui

L’interdiction des insecticides est un grand progrès, ainsi que la volonté de créer une trame verte permettant aux animaux de se déplacer. La ville protège des havres de biodiversité comme le cimetière du Père Lachaise qui a vu naître des renardeaux.

Il en est de même dans les jardins, en ce qui concerne la conservation des souches d’arbres abattus permettant ainsi l’installation de la petite faune sauvage et laminaire. On végétalise quand c’est possible et on adapte l’architecture en créant des murs accueillant une biodiversité animale et végétale.

Action rurale dans Paris

Transhumance, action rurale organisée à la Vilette

Mais aujourd’hui, les seuls mammifères sauvages encore en nombre à Paris ce sont les rats qui, par millions, peuplent souterrains, caves et égouts et quelques rescapés dans des parcs et des cimetières.
Demain, après les rats, les animaux domestiques resteront de très loin les mammifères les plus nombreux. Mais gardons en mémoire au quotidien notre attachement aux animaux domestiques : 43% des parisiens déclarent avoir au moins un animal de compagnie, dont 37% un chien et/ou un chat.

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Nota : Les photos proviennent du catalogue de l’exposition.

Eugène Pottier au Père Lachaise

La Commune d’hier et d’aujourd’hui au Père Lachaiseceux qui l’ont vécue et ceux qui s’en sont inspirés au XXème siècle, visite guidée

 

À l’origine de la Commune, la guerre

En 1870, la Prusse envahit la France mais n’entre pas dans Paris. Elle laisse le soin de la reddition des parisiens au gouvernement provisoire d’Adolphe Thiers (au PL). En 1871, les « communeux » ne veulent pas se rendre, être dominés en l’état actuel de la République autoritaire qui veut les désarmer. Ils veulent une république sociale, telle qu’elle sera inscrite plus tard et officiellement dans l’article premier de notre Constitution.

La fin de la Commune au Père Lachaise

La Commune se termine dramatiquement dans le vingtième arrondissement. C’est au Père Lachaise qu’auront lieu les derniers combats de la Commune, et les traces de balle restent encore aujourd’hui bien visibles. Trois monuments nous rappellent la guerre contre les prussiens, à l’origine de la défaite de la France et avec ses nombreuses conséquences : la fin de l’Empire, le gouvernement provisoire, ses décisions, et enfin la Commune de Paris (sans oublier celles de la province moins médiatisées), qui finira dans le sang jusqu’aux exécutions sommaires devant le Mur des fédérés.

C’est à travers les tombes des personnalités et les différents monuments du cimetière que nous aborderons localement cette partie, tragique encore dans nos souvenirs. Cette page d’histoire est toujours commémorée -chaque année au mois de mai devant le mur des Fédérés- par les organisations syndicales, les partis politiques de gauche et les francs-maçons.

Que reste-t-il aujourd’hui de la Commune 

Au bout des 72 jours de combat, ils s’agit d’une défaite militaire des parisiens (qui ne sont pas véritablement militaires), mais une mémoire historique des français qui y font toujours référence aujourd’hui. Une évocation toujours d’actualité avec de nombreuses sources d’inspiration artistiques et des chansons populaires comme le temps des cerises, interprétées dans le monde entier… et par Mouloudji et Yves Montand, enterrés au Père Lachaise.

Les précisions sur la visite :

Date : dimanche 21 mai 2023

Heure de rendez-vous : 10h00

Durée : 2 heures

Cette visite guidée est proposée par Philippe Gluck, président de l’AHAV. Elle est réservée aux adhérents et sur inscription à ahav.paris20@gmail.com. Le lieu de rendez-vous vous sera précisé en retour.

PS : la mairie du 20ème commémore chaque année la Commune de Paris. Cette année, la cérémonie aura lieu :

📅 Dimanche 28 mai
🕒 à 11h30
📍 au cimetière du Père-Lachaise, devant le Mur des Fédérés

Extension d'Haussmann

Quand Belleville et Charonne intègrent Paris

Conférence à l’occasion des 170 ans de la nomination d’Haussmann en tant que préfet de Paris

 

Dans le cadre des Mardis de l’histoire de Paris, cycle de manifestations consacrées cette année au préfet de la Seine Georges Haussmann, l’AHAV a été invitée à présenter, le mardi 2 mai 2023, à 18h30, une conférence consacrée à :

1860 – Paris annexe ses faubourgs, l’exemple de Belleville et de Charonne,

par  Christiane Demeulenaere-Douyère, vice-présidente de l’Association d’histoire et d’archéologie du 20e arrondissement de Paris .

 Cette présentation sera suivie d’une autre conférence, consacrée à :

Les transformations de l’île de la Cité sous Haussmann,

par  Christine Bru – La Cité, société historique et archéologique de Paris Centre

Elles auront lieu dans l’auditorium de l’Hôtel de Ville de Paris (entrée 5, rue Lobau, Paris 4earr.). Entrée libre dans la limite des places disponibles, mais inscription obligatoire à Christine.gosse@paris.fr.

 

Les Mardis de l’histoire de Paris

Mme Karen Taïeb, Adjointe à la Maire de Paris en charge du patrimoine, de l’histoire de Paris et des relations avec les cultes vous invite chaque premier mardi du mois, à 18h30 à l’Hôtel de Ville pour ce nouveau rendez-vous gratuit et ouvert à toutes et tous.

Ces conférences sont animées par les sociétés et associations d’histoire des arrondissements parisiens.Chaque année, elles aborderont un thème spécifique.

En 2023, elles s’inscrivent dans la programmation de l’année Haussmann ; en effet, en 1853, le baron Haussmann est nommé préfet de la Seine par Napoléon III. C’est à lui qu’ont été confiés les Grands travaux de Paris sous le Second Empire. À l’occasion du 170e anniversaire du lancement de ces travaux d’envergure, la Ville de Paris propose tout au long de 2023 de nombreux événements.

Plus d’informations sur paris.fr (https://www.paris.fr/evenements/mardis-de-l-histoire-un-cycle-de-conferences-sur-l-histoire-de-paris-32170 et https://www.paris.fr/pages/haussmann-l-homme-qui-a-transforme-paris-23091).

Annexion de Belleville et Charonne

Conférence à l’HdV sur Belleville et Charonne intègrant Paris, par Christiane Demeulenaere-Douyère

Ancienne gare de petite ceinture

Charonne d’un mur à l’autre, promenade du 7 juin 2023

En partenariat avec la Société de l’histoire de Paris et de l’Ile-de-France, l’AHAV propose une balade-conférence « D’un mur à l’autre : à la découverte du Charonne d’hier et d’aujourd’hui », sous la conduite de notre vice-présidente, Mme Christiane Demeulenaere.

Elle aura lieu le mercredi 7 juin 2023, à partir de 14h30.

Le circuit partira de la place de la Porte de Bagnolet (Mo3 ou TRAM 3b, Porte de Bagnolet) et suivra la rue de Bagnolet -avec quelques « excursions »- jusqu’au boulevard de Ménilmontant.

Participation gratuite pour les membres à jour de leur cotisation.

ATTENTION places limitées : l’AHAV disposera de 10 places, pour lesquelles l’inscription est OBLIGATOIRE auprès de inscriptions@shpif.fr en indiquant vos nom et prénom et votre appartenance à l’AHAV, au moins une semaine avant la sortie. Le lieu de rendez-vous vous sera communiqué en retour.

École en conflit dans le 20e

Ambroise Croizat père de nos retraites

Notre système de retraite est à la une de l’actualité. Le projet présenté en janvier a provoqué de nombreuses réactions et fait encore beaucoup parler de lui : vote à l’Assemblée et au Sénat, grèves, manifestations, tentatives de rencontres, appel au Conseil Constitutionnel, et toute cette actualité qui rebondit chaque jour … Mais revenons aux sources pour mieux comprendre de quoi nous parlons actuellement avec ce projet de loi.

Quelle est la véritable origine de notre système de retraite actuelle ? En quelle année a été imaginé puis élaboré le système de répartition ? Et qui est Ambroise Croizat dont si peu de gens se souviennent malgré l’immense ouvrage qu’il laisse à l’ensemble des Français, aujourd’hui au centre des préoccupations ? Qui prononce encore son nom en 2023 alors que se joue aujourd’hui ce qui fut mis en place après-guerre ?

L’origine de la construction « des Jours Heureux »

En mai 1944, le journal Libération pour la zone Sud publie sous le titre « Les Jours Heureux » le programme du Conseil national de la résistance (CNR). Il commence par ces mots : 

« Née de la volonté ardente des Français de refuser la défaite, la Résistance n’a pas d’autre raison d’être que la lutte quotidienne sans cesse intensifiée. »

Croizat sur le quai du métro

Plaque en hommage à Ambroise Croizat, Métro Porte d’Orléans [s.d.]

En 1944-1946, concernant la sécurité sociale et l’assurance vieillesse, telle qu’elle était nommée à l’époque, l’ordonnance sur l’assurance vieillesse du GPRF – Gouvernement provisoire de la République française – met en place ce qui constitue encore aujourd’hui le socle du système de retraite. Changement majeur, le système repose non plus sur la capitalisation, mais sur la répartition, principe déjà mis en place en 1941 où l’allocation pour les vieux travailleurs était déjà financée par les cotisations versées par les actifs en vue de leur pension. Et déjà des débats avaient lieu sur l’âge de la retraite : « Nous risquons donc de voir arriver le moment où les travailleurs actifs ne pourront nourrir les vieillards. »

L'idée da retraite par cotisation début 20e siècle

Publicité comparative pour le système de retraite par obligation, années 1910-1920

Il y a en effet à la Libération un consensus politique, une aspiration commune entre gaullistes et communistes sur les questions économiques et sociales qui n’ont jamais eu d’autre équivalent dans l’Histoire contemporaine, correspondant à une vraie attente de la part de ceux qui étaient nés vers 1900, et avaient vécu la première et la seconde guerres mondiales, de construire un monde meilleur, plus juste et plus égalitaire. D’où le passage d’une logique d’assurance, où chacun cotise pour soi, à une logique de transfert social, où l’on cotise pour les autres, ceux dans le besoin.

« Jamais le problème des retraites ne s’est posé avant autant d’acuité qu’à présent », lit-on en août 1945 dans Forces nouvelles, journal du Mouvement républicain populaire (MRP), alors que se prépare la réforme de « l’assurance vieillesse ». « Autrefois, le “vieux” terminait ses jours entre ses enfants. Aujourd’hui, parce que sa famille est dispersée et que l’exiguïté des salaires permet à chacun seulement de s’entretenir, le “vieux” doit compter sur lui et se garantir contre les mauvais jours. Seulement, dans la plupart des cas, il est incapable de réaliser seul les économies nécessaires pour la constitution d’une retraite même modeste. […]. C’est pourquoi l’assurance-vieillesse collective s’est largement développée : elle est devenue un problème national ».

Les ordonnances des 4 et 19 octobre 1945 donnent un cadre légal à la Sécurité sociale souhaitée par le CNR. L’application de ces ordonnances est donc la conjugaison fructueuse de deux gaullistes et d’un communiste. D’abord préparées par Alexandre Parodi, gaulliste, entre septembre 1944 et octobre 1945, elles vont être mises en place par Ambroise Croizat, son successeur au Ministère du travail et de la Sécurité sociale, communiste, et par Pierre Laroque pour sa mise en place, gaulliste.

Le bilan du PC en avant

Ambroise Croizat sur l’affiche électorale du PC après guerre

L’application concerne, outre la retraite par répartition :

  • la mise en place de la Sécurité sociale,
  • le doublement des allocations familiales,
  • l’augmentation de 50 % des heures supplémentaires,
  • la suppression de l’abattement de 10 % sur les salaires féminins,
  • l’amélioration du droit du travail français en renforçant les comités d’entreprise,
  • l’organisation et la généralisation de la médecine du travail,
  • le statut du travail des mineurs.

La question de la pauvreté des vieux travailleurs avait commencé à se poser dès la fin du XIXe siècle.

Le parcours engagé d’Ambroise Croizat

Ambroise Croizat nait à Briançon en 1901 dans une famille de « métallos ». Dès 1914, alors âgé de 13 ans, il commence à travailler en usine lorsque son père est appelé sous les drapeaux. Apprenti métallurgiste, il devient ouvrier ajusteur-outilleur dans la région lyonnaise. Il s’engage alors dans l’action syndicale. En 1917, à peine âgé de 16 ans, il s’inscrit aux Jeunesses socialistes et adhère en 1918 à la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO), il anime alors les grandes grèves de la métallurgie lyonnaise. Il entre ainsi au Parti communiste dès sa fondation en 1920 et en est l’un des dirigeants des Jeunesses communistes de 1920 à 1928. De 1929 jusqu’à sa mort en 1951, il restera membre du comité central, puis membre du Bureau de la Fédération de la jeunesse.

"Les conquis sociaux" - Ambroise Croizat

“Ministre des travailleurs” – extrait de CGTAFPA

Du syndicalisme à l’action politique

En 1936, au moment où se réalise l’unité syndicale, il devient secrétaire général de la Fédération unique des métallurgistes CGT. Élu député communiste de Paris à l’heure où Léon Blum devient président du Conseil des ministres, il participe activement aux grands acquis sociaux du Front Populaire : congés payés, semaine de 40 heures, conventions collectives, entre autres. Il est en particulier négociateur de la convention de la métallurgie parisienne, rapporteur sur la loi des conventions collectives à la Chambre.

Arrêté et incarcéré en 1939, puis libéré en 1943, trois mois après le débarquement allié en Afrique du Nord, il est nommé par la CGT clandestine à la commission consultative du gouvernement provisoire d’Alger (GPRF).

Ambroise Croizat est nommé successivement ministre du Travail, du 21 novembre 1945 au 26 janvier 1946 par Charles de Gaulle, président du gouvernement provisoire de la République, puis ministre du Travail et de la Sécurité sociale du 26 janvier au 16 décembre 1946 et du 22 janvier au 4 mai 1947.

Il mènera jusqu’au bout une vie de militant « pied à pied », avec une envie de changer le monde. L’influence de son action au service des Français est cependant à l’époque sous-estimée, et reste jusqu’à aujourd’hui très peu connue. Il meurt d’un cancer du poumon le 11 février 1951.

Ambroise Croizat au Père Lachaise

Organisées par le Parti communiste français, les obsèques d’Ambroise Croizat, qui ont lieu le 17 février, sont à la mesure de l’œuvre qu’il laisse derrière lui. Son corps est exposé à la Maison des métallurgistes (aujourd’hui Maison des métallos) puis au siège de la CGT. Un million de personnes accompagnent en silence sa dépouille jusqu’au cimetière du Père Lachaise, ce « peuple de France qui l’avait aimé et à qui il avait donné le goût de la dignité » écrira-t-on le 18 février 1951 dans L’Humanité.

Les nombreuses couronnes 70 ans après

Tombe d’Ambroise Croizat au Père Lachaise en 2021 (Anniversaire des 70 ans de sa mort)-PG

 

Pour les membres de l’AHAV, un article plus complet est disponible dans l’espace adhérent : L’invention sociale ou la croisade d’Ambroise Croizat
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