La neutralité des cimetières bien avant 1905
La neutralité des cimetières bien avant 1905
Ce 9 décembre est la journée de la laïcité. Nous devons cette journée à l’initiative du Sénat depuis 2011. Elle a ensuite été intégrée par l’Éducation nationale, depuis 2015 à l’occasion du 110ème anniversaire de la loi du 9 décembre 1905. Le mot laïcité lui-même vient du latin laicus, qui veut dire : commun, du peuple.
En 1905, notre loi sur la séparation des églises et de l’État débute ainsi sans le mot laïcité :
Article 1 La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public.
Article 2 La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte…
En d’autres termes, à chacun sa liberté de conscience, et tous les cultes sont traités de manière égale, en toute indépendance sous notre régime républicain. La référence à la laïcité figurera explicitement à la création de la Vème République dès l’article 1er de la Constitution de 1958, : « La France est une République laïque, démocratique et sociale ».
Au sujet de nos inhumations, sa législation spécifique n’avait pas attendue la loi de 1905 pour y intégrer son esprit.
Du cimetière religieux au cimetière de la République
En ce qui concerne les cimetières, la séparation a commencé bien avant la loi de 1905. Dès avant la Révolution avec la déclaration royale du 10 mars 1776, Louis XVI trace le premier chemin qui va aboutir au cimetière séparé de l’église et à le situer hors la ville. Dans cette déclaration on peut notamment lire en préambule :
… des plaintes touchant les inconvéniens des inhumations fréquentes dans les églises, et même par rapport à la situation actuelle de la plupart des cimetières qui, trop voisins desdites églises, seraient placés plus avantageusement s’ils étaient plus éloignés des enceintes et des villes, bourgs ou villages…
Puis suit l’article 1er rédigé ainsi :
Article 1er Nulle personne ecclésiastique ou laïque, de quelque qualité, État et dignité qu’elle puisse être, (sauf exceptions particulièrement limitées) … ne pourra être enterrée dans les églises, même dans les chapelles publiques ou particulières, oratoires et généralement dans tous les lieux clos il est fermé ou les fidèles se réunissent pour la prière et célébration dessin mystère ; et ce, pour quelque cause ou sous quelque prétexte que ce soit.
Le « en même temps » du décret impérial de 1804
Arrive ensuite Napoléon, tout nouvellement au pouvoir en tant qu’empereur. Par son décret du 23 prairial an XII (12 juin 1804), il permet de créer le tout nouveau Père Lachaise, qui devient de fait le premier cimetière laïc hors la ville (Paris ne comptait alors que 12 arrondissements)

Article 1er du décret impérial sur les sépultures
… mais tout en ordonnant en même temps dans son article 15 :
Dans les communes où l’on professe plusieurs cultes, chaque culte doit avoir un lieu d’inhumation particulier ; et dans le cas où il n’y aurait qu’un seul cimetière, on le partagera par des murs, haies ou fossés, en autant de parties qu’il y a de cultes différens, avec une entrée particulière pour chacune, et en proportionnant cet espace au nombre d’habitans de chaque culte.
La IIIe République à la manoeuvre
Cet article 15 du décret impérial de 1804 sera abrogé sous la IIIe République, par la loi du 14 novembre 1881 dite « sur la liberté des funérailles ». Concrètement, les murs confessionnels à l’intérieur des cimetières sont supprimés, les funérailles et les signes religieux sur les sépultures deviennent librement une affaire privée dans cet espace public civil.
Le jour-même de cette loi, Gambetta ministre des affaires étrangères devient président du Conseil. Il remplace Jules Ferry, qui en tant que ministre de l’instruction publique avait récupèré l’administration des cultes, auparavant attribuée au ministère de l’Intérieur.
Dès la promulgation de cette loi sur la liberté des funérailles, nous pouvons lire en réaction dans l’Univers daté du 16 novembre 1881, cet extrait d’article critique :
Cette loi impie et sacrilège était digne de paraître sous les auspices de M. Paul Bert, nouveau ministre de l’instruction publique et des cultes, et avec la signature de M. Constans. Nous en donnons le texte, composé d’un seul article, qui établit la « laïcisation » des cimetières. C’est la suite des attentats de la République contre le catholicisme. Après cela il ne reste plus qu’à « laïciser » les églises.
Également cette année-là, la controverse au sujet de la suppression du Concordat entre la France et le Saint-Siège est bien reprise dans la presse. Il faudra attendre 1905 pour aboutir à cette suppression… exceptée -encore aujourdh’ui- en Alsace-Moselle annexée par l’empire allemand de 1871 jusqu’à 1918.

Au Père Lachaise, le monument aux morts laïc, sculpté par Bartholomé en 1899-PG
Enfin pour finaliser cette séparation dans nos cimetières, la loi du 28 décembre 1904 annulera l’article 22 du décret impérial de 1804 concédant le monopole des inhumations aux « fabriques » administrant les biens des églises, et aux consistoires des autres religions.
Et c’est ainsi que toutes les dispositions légales étaient déjà en place pour assurer la laïcité dans nos cimetières. Un an avant la loi de 1905.
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En plus des liens en bleu sur lesquels vous pouvez cliquer ci-dessus, cette émission de CONCORDANCE DES TEMPS, à propos de la question : d’où viennent nos cimetières ?
La neutralité des cimetières bien avant 1905
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