Les kabyles en 1871, une histoire «Commune»
Après Idir et les Kabyles dans le 20e, nous poursuivons notre série d’articles sur les kabyles dans le 20e. Nous abordons cette fois-ci l’origine de leur venue, le lien entre deux événements historiques parallèles qui finiront par se rejoindre.
La troisième et dernière partie sera consacrée à L’arrivée des kabyles au XXème siècle.
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1871, une histoire «Commune»
Azziz El Haddad est mort le 22 août 1895, juste en face du Père Lachaise. Figure emblématique de la révolte kabyle de 1871, il habitait au 45 boulevard de Ménilmontant chez son ami et compagnon de déportation Eugène Mourot. Il est le fils du Cheick de la Rahmaniya, et a été recherché par toutes les polices à la suite de son évasion de Nouvelle-Calédonie.
La rencontre des déportés en Nouvelle Calédonie
Azziz El Haddad est une des deux figures de proue du groupe de déportés en Nouvelle-Calédonie. Il a rencontré ses compagnons d’infortune dont Louise Michel, et Eugène Mourot, tous deux anticolonialistes, ce qui était rare à l’époque… même chez les communards. Dans ses mémoires, Louise Michel écrit :
« Un matin, dans les premiers temps de la déportation, nous vîmes arriver dans leurs grands burnous blancs, des Arabes déportés pour s’être, eux aussi, soulevés contre l’oppression. Ces orientaux, emprisonnés loin de leurs tentes et de leurs troupeaux étaient simples et bons et d’une grande justice ».
Puis, l’amnistie générale est déclarée en juillet 1880 pour « tous les condamnés pour faits relatifs aux insurrections de 1871 et à tous les condamnés pour crimes ou délits relatifs à des faits politiques ». Tous sauf les algériens qui, au contraire des parisiens, sont maintenus en résidence en Nouvelle-Calédonie. Azziz El Haddad, lui, décide alors de s’enfuir via l’Australie.
De son côté, Eugène Mourot, devenu conseiller municipal de Nouméa et vice-président de l’Union démocratique de propagande anticléricale, préférera ne rentrer en France qu’en 1884.
C’est ainsi que, fidèle aux amitiés nouées en captivité, à son retour en France, Eugène Mourot offre l’hospitalité à Azziz El Haddad. Celui-ci mourra en 1895, le jour-même où quelques rares survivants de la « Commune kabyle » enfin graciés, embarquaient à Nouméa pour rentrer au pays.
Une collecte effectuée parmi les anciens communards déportés a permis le rapatriement du corps du défunt en Algérie.
À l’origine, les décisions coloniales
En Algérie, plusieurs mouvements de révolte préludent à la grande insurrection. La politique française tend à morceler les tribus et à diminuer l’influence des grandes familles. Avant tout autre, les notables se sentent menacés par la promesse de mesures telles que la libération des khammès (métayers qui recevaient le cinquième de la récolte contre leur force de travail), la confiscation de leurs terres ou des impôts considérables.
Peu à peu la révolte nobiliaire enfle précédant de peu la révolte populaire, celle des djouad ou noblesse d’épée qui possède souvent des terres [1].
Outre celles déjà citées, plusieurs causes à cette révolte dont une famine et un appauvrissement des foyers kabyles à la suite d’un hiver rigoureux en 1868-69. Et surtout, c’est la fin des « bureaux arabes », ces structures administratives mises en place par la France après la conquête de l’Algérie en 1830. Ceux-ci sont remplacés par un régime civil qui allait coûter cher aux populations locales, par une domination accrue des colons, et une aggravation de la spoliation de leurs terres.
1871, la mobilisation forcée des spahis contre la Prusse
Cette insurrection de 1871 va prendre son essor dans l’Est du pays, particulièrement dans les régions berbérophones de Kabylie. Cette révolte provient d’abord de l’échec de la politique française depuis 1830 notamment sous le Second Empire.
Le premier mouvement éclate le 20 janvier 1871, il est sans doute le plus significatif.
Il met en cause une institution, celle des spahis (régiment de cavalerie algérien), qu’on veut faire venir en France pour faire la guerre contre la Prusse, alors qu’il était entendu que ceux-ci ne devaient pas quitter leur pays.
En février, d’autres révoltes apparaissent, et l’autorité française semble incapable de maintenir l’ordre, ce qui encourage un homme, comme le bachaga Mokrani, à déclencher la grande révolte.
Le 15 mars, la révolte est menée depuis le massif montagneux des Bibans en Kabylie par le cheikh El Mokrani et son frère BouMezrag, tous deux rejoints par le cheikh El Haddad. Elle soulève environ 250 tribus, soit un tiers de la population de l’Algérie. El Mokrani se retrouve à la tête de 120 000 combattants (200 000 selon les chiffres de l’Armée française).
La répression est terrible. Après en avoir fini avec les communards, des troupes françaises arrivent en renfort fin mai 1871. Le 30 juin, le fils Aziz al-Haddad se rend et le 13 juillet le cheikh al-Haddad est capturé. L’insurrection ne prend définitivement fin qu’après la capture de BouMezrag, le 20 janvier 1872.
Outre une contribution de guerre de 36,5 millions de francs-or imposée aux tribus insurgées, 446 000 hectares de terres sont séquestrés. Les kabyles sont rejetés vers les montagnes, les principaux chefs sont déportés en Guyane française ou en Nouvelle-Calédonie.
Il faudra attendre 1928 pour que le régime de l’indigénat français soit modifié. Ce régime, appliqué dans les territoires du second empire colonial, finira par être aboli en 1946. Un aboutissement après une demande du mouvement des Jeunes-Algériens de la suppression de ce code d’exception en 1908 et 1912, suivie d’une autre de la Ligue des droits de l’homme lors de son 20ème Congrès, en 1924.
↑[1] Avec les lignages maraboutiques, cette classe sociale constitue l’une des deux castes aristocratiques de la société algérienne traditionnelle
Prochain article : L’arrivée des kabyles en France, de la guerre 1914-1918 aux années 1950
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Les kabyles en 1871, une histoire «Commune»
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