L’arrivée des kabyles au XXème siècle
Au restaurant « Le Ramus », portrait du grand-père en uniforme qui s’est battu pour la France-PG
L’arrivée des kabyles au XXème siècle
Après Idir et les kabyles dans le 20e et Les kabyles en 1871, une histoire « Commune », nous terminons notre enquête sur les kabyles et le 20e arrondissement en prenant connaissance de leur arrivée en France au XXème siècle.
À l’origine de leur venue, la guerre et le manque de main-d’œuvre. Les autorités françaises vont alors se tourner vers leur recrutement depuis les colonies.
Avant la première guerre mondiale
En ce début de XXème siècle, le besoin de main d’œuvre amène de plus en plus de Kabyles à venir travailler en France. En 1912, selon une enquête nationale, près de 10 000 Kabyles résident principalement à Marseille, Clermont-Ferrand, Paris et dans le bassin houiller du Pas-de-Calais.
Dans son article datant de 1996 K. Direche-Slimani fait le constat suivant :
« Avant la première guerre mondiale, l’émigration kabyle vers la métropole était constituée de ce que l’on appelait à l’époque les convoyeurs kabyles ; il existait entre la France et l’Algérie un va-et-vient continuel de bateaux qui opéraient des transferts massifs de bovins et de chevaux. Pendant longtemps, la Kabylie a été la principale pourvoyeuse de cette main-d’œuvre ».
La Grande Guerre et l’arrivée de main d’œuvre coloniale
Depuis août 1914, la France est en état de siège et dès ce moment, la pénurie de main-d’œuvre masculine nationale s’impose aux autorités françaises comme un des problèmes les plus aigus. La féminisation du marché du travail et le nombre relativement faible des prisonniers de guerre s’avèrent insuffisants, si bien que le recours aux travailleurs étrangers, coloniaux et chinois leur apparaît une solution nécessaire. Si les flux de travailleurs dits « libres » ne sont pas négligeables, en réalité la très grande majorité des étrangers et des coloniaux sont recrutés par l’État français.
Officiellement, plus de 225 000 coloniaux et chinois (soit plus de 7% de la main-d’œuvre militarisée et 16% de la main-d’œuvre civile dans les usines d’armement pour toute la durée du conflit) et au moins autant d’étrangers ont travaillé sur le sol métropolitain pendant la guerre.
Ils sont répartis comme suit : environ 75 000 Algériens (“Kabyles”), 35 000 Marocains, 18 500 Tunisiens, 5 500 Malgaches, 49 000 Indochinois. En Algérie ces travailleurs sont réquisitionnés à partir de 1916.
Souvent durement atteintes par la mobilisation de leurs effectifs, Les entreprises ne peuvent plus recruter librement de la main-d’œuvre à l’étranger. C’est donc l’État qui prend en charge, pour la première fois, le recrutement massif de travailleurs, leur acheminement, leur placement dans les usines ou les campagnes, et même la gestion de leur vie quotidienne. Ce sont ainsi quelque 500 000 travailleurs qui sont recrutés selon des modalités variables.
Le SMOE (Service de main d’œuvre étrangère) s’occupe exclusivement de la main-d’œuvre “blanche” ou “européenne”, tandis que le SOTC (Service de l’organisation des travailleurs coloniaux) a en charge les travailleurs coloniaux.
Entre les deux guerres, en Ile-de-France
L’enquête Louis Massignon en 1921, recensait près de 12 000 travailleurs Kabyles dans l’agglomération parisienne dont 2700 aux usines Renault à Billancourt, 7 000 aux usines Citroën à Clichy et Levallois, 2 500 laveurs de voiture à Saint-Ouen, Levallois et Aubervilliers. Il localisait les principaux centres d’hébergement des Kabyles à la Villette, le long du canal de l’Ourcq et rue des Flandres (19e arrondissement), Grenelle et avenue du Maine, avenue d’Italie, boulevard de la Gare, rue de la Glacière et d’Alésia (13e et 14e).
Bien que le 20e ne soit pas indiqué dans cette enquête, on voit que les kabyles s’installent principalement dans l’est parisien, rive droite et rive gauche.
Ils se regroupent souvent dans certains vieux quartiers des villes et dans les banlieues industrielles. Le 20e arrondissement, au début du XXème siècle, est encore un quartier considéré « périphérique », rattaché depuis moins de cinquante ans à Paris, la population y est ouvrière, les loyers sont peu élevés, c’est donc un quartier où viennent s’établir les travailleurs « coloniaux » nouvellement arrivés.
Plus globalement, les premiers repérages d’algériens en France métropolitaine remontent à la période 1914-1918 avec 80 000 individus présents en France, selon le sociologue Mohand Khellil, dont 87 % provenaient des deux départements kabyles, Tizi-Ouzou et Constantine […] L’émigration algérienne est donc éminemment kabyle », nous informe-t-il en1994 dans son étude « Kabyles en France, un aperçu historique ». Soit bien antérieure à l’immigration algérienne plus massive des années 1950.
L’émigration à partir des années 50
En 1934, la Kabylie fournissait les 3/4 des émigrés et en 1950, et 50 à 60 % des travailleurs algériens partis travailler en France étaient d’origine kabyle.
L’importance et la régularité de la main-d’œuvre kabyle en France est donc indéniable et de nombreuses traces dans les archives et dans les documents coloniaux le démontrent.
Dès 1921, plus de 35 000 « sujets » algériens sont recensés en France, leur nombre atteint plus de 85 000 en 1936, avant de redescendre à 72 000 à la veille de la Seconde Guerre mondiale.
L’immigration de l’entre-deux-guerres reste une immigration de travail, masculine et jeune, rythmée par de nombreux allers-retours. Ce fort courant migratoire suscite des critiques en Algérie, de la part des autorités, mais aussi de la part des entrepreneurs ou colons inquiets de voir la main-d’œuvre quitter l’Algérie.
La Seconde Guerre mondiale a vu l’arrêt des flux de travailleurs tandis que les troupes algériennes ont payé un lourd tribut à la lutte contre le nazisme et à la Libération de la France.
Les départs vers la métropole reprennent à partir de 1946, facilités par la loi du 20 septembre 1947. Même si elle ralentit légèrement dans un premier temps les nouvelles entrées, la guerre d’indépendance ne marque aucun temps d’arrêt dans les migrations algériennes. Au cours des huit années de conflit, le nombre des Algériens présents en France passe de 211 000 en 1954 à 350 000 en 1962.
Les régions de départ se diversifient. La Kabylie reste en tête, suivie par les départements d’Oran, Constantine, les Aurès, Tlemcen… les hommes émigrent de plus en plus avec leurs familles (7 000 familles en 1954, 30 000 en 1962).
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Tableaux tirés de l’article « Kabyles en France », un aperçu historique, par Mohand Khellil
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Voici au fil de ces trois épisodes l’histoire des kabyles de France, et plus précisément du 20e arrondissement, désormais présents depuis un siècle et demi, qui, après avoir partagé une histoire commune, ont adopté Paris tout en conservant leur culture intime, leur langue, et nous invitent au partage réciproque.
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L’arrivée des kabyles au XXème siècle
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