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Gisèle Halimi au procès de Bobigny

Père-Lachaise avant le Panthéon ?

En ce 8 mars 2023, Emmanuel Macron doit présider à 14 heures au Palais de Justice un hommage national à Gisèle Halimi. Pour mémoire, sa pathéonisation reste  toujours  en suspend depuis ces deux dernières années. L’initiative actuelle du président de la République était prévue à l’origine dès 2020.  Elle avait été repoussée, mise en cause dans sa forme. Elle fait actuellement l’objet de divisions quant à l’opportunité du moment et les différents rebondissements qui l’ont précédé. 

 

L’article particulièrement documenté,  lisible sur Franceinfo ce 8 mars, nous en fournit toutes les précisions. L’occasion pour nous de reproduire notre article sur Gisèle Halimi et le procès de Bobigny, paru le 5 octobre 2022.

 

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 Bobigny, automne 1972, le procès qui a tout changé

 

Au moment où la Cour Suprême des Etats-Unis, en révoquant le droit constitutionnel à l’IVG, nous rappelle que les droits des femmes ne sont jamais définitivement acquis, faisons retour sur le procès de Bobigny qui s’est tenu il y a tout juste 50 ans, à l’automne 1972.

Cinq femmes y ont été jugées pour pratique et complicité d’avortement. Ce procès, dont la défense fut brillamment assurée par l’avocate Gisèle Halimi (enterrée au Père-Lachaise), eut des retentissements énormes et contribua à faire considérablement évoluer les esprits.

Les faits

Marie-Claire, 16 ans, enceinte à la suite d’un viol, refuse de garder l’enfant et demande à sa mère de l’aider. Michèle Chevalier, qui élève seule ses trois filles, est une modeste employée de la RATP, qui gagne 1 500 francs par mois.

Un avortement pratiqué par un médecin français agissant « discrètement » coûte alors 4 500 francs, soit trois mois du salaire de Mme Chevalier. C’est hors de ses moyens et elle décide de recourir à ce qu’on appelait alors une « faiseuse d’anges ». Finalement, l’intervention est pratiquée clandestinement pour 1 200 francs.

Quelques semaines plus tard, le violeur de la jeune fille, soupçonné d’avoir participé à un vol de voitures, est arrêté par la police. Et, espérant se dédouaner, il dénonce Marie-Claire. La police se rend alors chez Mme Chevalier et la menace de prison pour elle et sa fille si elle n’avoue pas. Marie-Claire, sa mère et les trois femmes qui les ont aidées sont mises en examen.

Le procès de la loi de 1920

En ce début des années 1970, en matière d’avortement, la France vit encore sous le régime de la loi du 31 juillet 1920 qui désigne le crime d’avortement comme passible de la cour d’assises. Depuis 1967, avec l’adoption de la loi Neuwirth, la contraception, enfin autorisée, est sortie du champ répressif, mais l’avortement en revanche reste hors-la-loi. Même si les tribunaux se montrent plus cléments dans les peines prononcées, les procès demeurent monnaie courante.

L’avocate Gisèle Halimi accepte de défendre les cinq inculpées. Avec Simone de Beauvoir, alors présidente de l’association féministe Choisir la cause des femmes, elles décident de mener un procès politique dénonçant l’avortement, sa répression et l’injustice sociale découlant de celle-ci : loin de reconnaître une culpabilité, la défense attaquera l’injustice de la loi de 1920. Les Françaises aisées se font avorter à l’étranger, dans des pays où l’avortement est légal comme la Suisse ou la Grande-Bretagne, tandis que les autres doivent le faire en France dans le secret et dans des conditions mettant souvent leur santé en danger.

Conférence de presse Gisèle Halimi tribunal de Bobigny

Gisèle Halimi devant le tribunal de Bobigny

Marie-Claire étant mineure, elle est jugée devant le tribunal pour enfants de Bobigny, à huis clos, le 11 octobre 1972. Gisèle Halimi évoque la foule qui, alors qu’elle plaidait, scandait à l’extérieur des slogans comme « L’Angleterre pour les riches, la prison pour les pauvres ! ». Une manifestation du Mouvement de libération des femmes (MLF) et de Choisir a été brutalement réprimée par la police quelques jours plus tôt. La presse, témoin des brutalités, lui donne un large écho et on commence à parler du procès de Bobigny.

343 "salopes" pétitionnaires

Le manifeste des 343, histoire d’un combat

Après le huis clos du procès, le jugement est rendu en audience publique. Marie-Claire est relaxée, comme ayant souffert de « contraintes d’ordre moral, social, familial, auxquelles elle n’avait pu résister ». Pour Gisèle Halimi, « c’était à la fois courageux, tout à fait nouveau sur le plan de la jurisprudence et suffisamment ambigu pour que tous les commentaires puissent aller leur train ».

Pour le second volet du procès (les adultes), l’audience se tient le 8 novembre 1972, toujours à Bobigny. Des centaines de manifestants, dont des célébrités aussi diverses qu’Agnès Varda ou Aimé Césaire, se pressent dehors. A la barre, c’est un défilé de personnalités : Simone de Beauvoir, le prix Nobel de médecine Jacques Monod… Le professeur Paul Milliez, médecin et catholique fervent, déclare que, dans une telle situation, « il n’y avait pas d’autre issue honnête ». Mais le clou, c’est la plaidoirie de Maître Halimi, une plaidoirie magistrale – souvent même qualifiée d’« historique ».

La victoire est éclatante. Michèle Chevalier est finalement condamnée à une amende de 500 francs avec sursis et les autres femmes sont relaxées.

Apparition des personnalités publiques

Procès de Bobigny au moment du verdict

Qu’a changé le procès de Bobigny ?

On s’en souvient, le procès de Bobigny a suscité de nombreux débats. Le lendemain du procès, France-Soir publie à sa « une » la photo du professeur Milliez avec en titre « J’aurais accepté d’avorter Marie-Claire… ». Des centaines d’articles, de flashes ou d’émissions sur les chaînes de radio et de télévision sont consacrées à l’affaire. Le greffe de Bobigny reçoit dans les jours qui précèdent le procès, des lettres, pétitions et télégrammes demandant la relaxe des inculpées. Le ministre de la Santé publique, ancien garde des Sceaux, le très rigoriste Jean Foyer, s’insurge dans Ouest France : « Si on admet que l’avortement est une chose normale et licite, il n’y a plus de raison de s’arrêter… et il n’y a pas de raison pour qu’on n’en arrive pas aux extrémités qu’avec juste raison on a considérées comme étant les plus odieuses sous le régime hitlérien. » Le Figaro fait sa « une » sur « l’avortement en question ».

Le 9 janvier 1973, le président de la République Georges Pompidou, questionné sur l’avortement lors d’une conférence de presse, admet, tout en déclarant que personnellement l’avortement le « révulse », que la législation en vigueur est dépassée. Il demande l’ouverture d’un débat sur la contraception et l’avortement avec les représentants de la société.

Le mouvement Choisir la cause des femmes publie juste après le procès, en édition de poche, Avortement. Une loi en procès. L’affaire de Bobigny. Ce livre est une transcription intégrale de l’audience. En quelques semaines et sans publicité, plus de 30 000 exemplaires sont vendus.

Le retentissement médiatique du procès de Bobigny est considérable. Il a contribué à accélérer l’évolution des mentalités et des mœurs qui aboutit, en France, à la loi du 17 janvier 1975, dite Loi Veil, sur l’interruption volontaire de grossesse.

Et l’avortement en France aujourd’hui : on en est où ?

Selon les données du ministère des Solidarités et de la Santé, en 2018, 224 300 interruptions volontaires de grossesse (IVG) ont été réalisées en France, dont 209 500 auprès de femmes résidant en métropole.

Le taux de recours s’élève à 15 IVG pour 1 000 femmes âgées de 15 à 49 ans en métropole et à 27,8 dans les départements et régions d’outre-mer (DROM), son niveau le plus élevé depuis 1990. Les femmes de 20 à 29 ans restent les plus concernées, avec 27 IVG pour 1 000 femmes sur l’ensemble du territoire. L’indice conjoncturel d’avortement atteint 0,56 IVG par femme en 2018.

"A qui appartient le ventre de cette femme ?"

Affiche du MLF vers 1971

Les écarts régionaux perdurent, les taux allant du simple au double selon les régions : de 10,9 IVG pour 1 000 femmes en Pays de la Loire à 22 IVG en Provence-Alpes-Côte d’Azur. Dans les DROM, ils sont plus élevés et atteignent jusqu’à 38,5 en Guadeloupe. 55 800 IVG ont été réalisées hors d’une structure hospitalière, soit 25% du total des IVG. À l’hôpital, la part des IVG instrumentales continue de décroître et s’élève à 40%, soit 30% du total des IVG.

Gisèle Halimi, une figure de la lutte pour les droits des femmes

Née en 1927, à La Goulette (Tunisie), et décédée le 28 juillet 2020, à Paris, Gisèle Halimi a été avocate, militante féministe et femme politique. Elle a trouvé sa dernière demeure au cimetière du Père-Lachaise (49e division).

Avocate, à partir des années 1950, elle défend des militants de l’indépendance algérienne, dont des membres du Front de libération nationale (FLN). À partir de 1960, elle assure la défense de l’activiste et militante Djamila Boupacha, accusée de tentative d’assassinat puis torturée et violée en détention.

Gisèle Halimi au moment du procès de Bobigny

Figure du féminisme en France, elle est la seule avocate signataire du « Manifeste des 343 », publié par Le Nouvel Observateur en avril 1971, qui réunit des femmes, célèbres ou non, déclarant avoir déjà avorté et réclamant le libre accès à l’avortement. Dans la foulée, elle fonde le mouvement Choisir la cause des femmes, avec Simone de Beauvoir et Jean Rostand. En 1972, au procès de Bobigny, son action comme avocate de femmes accusées d’avortement illégal permet l’acquittement de trois des accusées et un sursis pour la quatrième, et contribue à l’évolution des esprits vers la loi Veil sur l’interruption volontaire de grossesse, en 1975.

De même, sa défense médiatisée de deux femmes victimes d’un viol collectif, jugé en 1978, contribue à l’adoption d’une nouvelle loi en 1980, distinguant clairement l’attentat à la pudeur et le viol et permettant de reconnaître ce dernier comme un crime (au lieu d’un délit comme il l’était auparavant en droit français).

Proche de François Mitterrand, elle est députée en 1981-1984. Militant pour la parité en politique, elle obtient en 1982 le vote d’un article de loi autorisant des quotas par sexe aux élections (annulé par le Conseil constitutionnel). Avec Robert Badinter, elle est à l’origine de la loi abrogeant la distinction de la majorité sexuelle pour les rapports homosexuels. À partir de 1985, elle occupe plusieurs fonctions successives à l’UNESCO, puis à l’ONU. Elle est en outre l’une des fondatrices de l’association altermondialiste ATTAC, en 1998.

Pour en savoir plus :

Gisèle Halimi, préface de Simone de Beauvoir, Le procès de Bobigny : Choisir la cause des femmes, Gallimard, nouvelle édition 2006, avec un texte inédit de Marie-Claire Chevalier.

Jean-Yves Le Naour, Catherine Valenti, Histoire de l’avortement, XIXe-XXe siècle, Paris, Aubier, 2003.

Catherine Valenti, Bobigny : Le procès de l’avortement, Paris, Larousse, 2010.

Le Manifeste des 343 : https://www.nouvelobs.com/societe/20071127.OBS7018/le-manifeste-des-343-salopes-paru-dans-le-nouvel-obs-en-1971.html

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