Les choux à la mode de… Charonne
Savez-vous planter les choux à la mode de… Charonne ?
A l’heure où les Parisiens réinventent les « fermes urbaines » et se revendiquent « locavores », qui se souvient qu’une partie du 20e arrondissement fut longtemps une terre de jardinage et de maraîchage ? Pourtant, certains noms de rues et quelques bâtiments échappés à la pioche des démolisseurs peuvent nous mettre la puce à l’oreille. De quoi la rue des Maraîchers, la rue des Haies ou celle des Grands Champs… sont-elles le souvenir ?
Nourrir Paris en fruits et légumes frais
De tout temps, il a fallu fournir Paris en légumes, « herbages » et fruits frais. Dès le Moyen Âge, Paris est une ville dense et très peuplée : 250 000 habitants, en 1300, qui en font la capitale la plus peuplée d’Europe occidentale. Pour approvisionner les marchés, en ces temps où l’on ignore les transports à longue distance et le froid artificiel, des jardiniers professionnels cultivent à l’intérieur même de la ville des surfaces assez étendues de légumes (choux, salades, concombres, etc.), dont l’actuelle rue du Pont-aux-Choux (3e arr.) est un lointain souvenir.
Tout comme les biens connus « clos à pêches » du Haut Montreuil sont un vestige de la capitale internationale de la pêche de qualité et d’autres fruits, fraises et cerises, qu’a longtemps été ce village voisin de Paris. Au fur et à mesure de l’extension urbaine, ces jardins ont dû reculer, franchir les enceintes successives de Paris et gagner la banlieue proche pour finalement s’éloigner plus loin encore en région parisienne.

Jacques Callot, Le jardinier, 1628 © BnF, Gallica
Le travail du jardinier-maraîcher est différent de celui du cultivateur ou du laboureur. C’est un métier très qualifié qui requiert une bonne connaissance des espèces de légumes et de fleurs de coupe et des méthodes (amendement des terres, palissage des arbres, utilisation de serres, châssis ou cloches de verre…) nécessaires pour protéger les plantes, les « forcer » et les faire produire à la fois en quantité abondante et en qualité. Le travail est rude et les journées longues : tôt levés, tard couchés…
À Paris, dès la fin du Moyen Âge, il existe une corporation des « jardiniers, préoliers et maraîchers ». Elle apparaît dans l’ordonnance des Bannières de Louis XI (1467) et gagne ses statuts en 1473, complétés et approuvés par la monarchie à plusieurs reprises. En 1772, elle compte environ 1 200 maîtres jardiniers. Elle disparait avec la Révolution.
Une « petite banlieue » maraîchère
Mais ces jardiniers, dont beaucoup sont parisiens de longue date, restent en place, bientôt renforcés de nouveaux venus des campagnes proches. Les activités de jardinage et de maraîchage se poursuivent à Paris et dans sa banlieue proche ou lointaine pendant tout le XIXe siècle et une partie du XXe.

Ancienne maison de jardiniers, transformée en lavoir industriel, rue de Charonne, début du XXe siècle. Carte postale.
Au fur et à mesure que la ville grignote ses faubourgs, les zones jardinières se déplacent hors des limites, de Paris, puis encore au-delà. On se souvient qu’à la fin des années 1970, le choix de Bobigny comme chef-lieu du nouveau département de la Seine-Saint-Denis a entrainé le déménagement de ses maraîchers, partant avec la terre de leurs jardins qui était pour eux un outil de travail et un investissement de qualité.
Nombreux sont les jardiniers et maraîchers qui ont laissé leurs noms inscrits dans la voirie parisienne. Dans le 12e arrondissement voisin, il y a une rue des Jardiniers et une rue Dagorno, et de nombreux passages portent les noms de jardiniers aujourd’hui oubliés. Dans le 20e arrondissement, nous avons aussi le passage Josseaume et l’impasse Dagorno.
Qui sont ces gens ?
Dagorno ? Un patronyme qui pourrait bien être breton d’origine. Le premier Dagorneau repéré – la famille adoptera ensuite l’orthographe Dagorno – est Nicolas Dagorneau, décédé à Paris à la fin du XVIIIe siècle. Il est qualifié de jardinier, domicilié rue des Amandiers, dans la paroisse Sainte-Marguerite. On ne sait pas où il est né. Par son mariage, il est lié à des familles bellevilloises comme les Mouroy et les Auroux et certains de ses beaux-frères sont vignerons à Belleville.
Ce couple aura une descendance nombreuse qu’on retrouvera essaimée dans divers quartiers parisiens. Certains s’établissent dans l’actuel 12e arrondissement, rue de Picpus ou rue de Reuilly, ou encore près de la place la Nation ou rues de la Voûte et du Rendez-vous. D’autres s’installent à Charonne, particulièrement à proximité de la rue des Haies. Au début du XXe siècle, d’autres Dagorno iront plus loin en région parisienne (Maisons-Alfort, Alfortville…).

Culture de salades sous cloches en verre. DR.
Et les Jossaume ? Ils étaient originaires de l’Avranchin, dans la Manche, qu’ils quittent dans les années 1810. Le premier arrivé à Paris est probablement André Josseaume (1790-1871), qui se marie, en 1813, à Saint-Ambroise. Vers 1819, il est rejoint par un de ses frères, Jacques François Josseaume (ca 1787-1855), qui, en 1846, est jardinier au chemin de ronde de la barrière de Saint-Mandé ; il meurt à environ 68 ans, au 4 rue de la Cour-des-Noues, à Charonne, et est enterré dans le cimetière de Charonne.
Des Josseaume, on en trouve successivement dans l’ancien village de Bercy (vers 1853), rue et boulevard de Reuilly (en 1871) et à Charonne. Au début du XXe siècle, certains sont installés à Créteil (1914).

Maraichage à Saint-Denis (93), Ets A. Bernard, horticulteur, début du XXe siècle. Carte postale.
Au fil des générations, les Dagorno et les Josseaume se sont unis par mariage avec la plupart des grandes familles jardinières de Paris et de sa banlieue. C’est en effet une habitude bien ancrée dans ce métier : quand on est enfant de jardinier, on n’épouse qu’un fils ou une fille de jardiniers et, en cas de veuvage, on se remarie dans ce même milieu.
Ils participent ainsi d’une vaste communauté professionnelle qui pratique l’endogamie, partage ses savoirs de métier, travaille dans l’ensemble de la région francilienne et finit par constituer une sorte d’« aristocratie » jardinière et maraîchère. Ainsi, dans leur parentèle proche ou plus lointaine, les Dagorno ont des liens familiaux qui les relient à des familles de maîtres jardiniers déjà présentes à Paris au début du XVIIIe siècle, comme les Robert ou les Dulac.

15-17 rue Florian, propositions de sites et bâtiments remarquables à protéger © Association Paris historique
Pour mieux connaître le bâti faubourien du 20e arrondissement
L’Association d’Histoire et d’Archéologie du 20e arrondissement de Paris vous propose, le jeudi 24 octobre 2024, à 18h30, à la Mairie du 20e arrondissement, la conférence :
Le bâti faubourien de Charonne (1820-1920)
Présentée par Frédérique Gaudin, secrétaire générale de l’AHAV, et Delphine Lenicolais, dans le cadre de son master 2 Histoire, cette conférence vous permettra de découvrir un patrimoine bâti bien délaissé qui nous vient en grande partie de l’activité jardinière et maraîchère du quartier de Charonne, et les problématiques qui entourent aujourd’hui sa reconnaissance et sa préservation.
Donc… rendez-vous le jeudi 24 octobre 2024, à 18h30, à la Mairie du 20e arrondissement, salle du Conseil, 6 place Gambetta, 75020 Paris.
Les choux à la mode de… Charonne
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