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Haussmann et le faux départ du Père Lachaise

Haussmann et les cimetières : le faux départ du Père Lachaise pour Méry-sur-Oise

Au moment de la Toussaint, il est bon de nous rappeler qu’au 19ème siècle notre cimetière a failli disparaître. La fermeture du Père Lachaise n’a finalement pas eu lieu, mais la bataille aura été longue. Rappelons brièvement les faits.

En 1804, le décret des sépultures signé par Napoléon oblige les nouveaux cimetières à être créés hors la ville. Paris était alors composé de 12 arrondissements et le Père Lachaise avait été créé cette même année au village de Charonne. Mais en 1860 le passage de 12 à 20 arrondissements a pour conséquence de faire entrer les cimetières « hors la ville »… dans la ville.

Une idée déjà creusée dès 1859

Qu’à cela ne tienne, et la veille de son extension à 20 arrondissements, le préfet Haussmann prévoit de fermer les trois grands cimetières -Père Lachaise, Montmartre et Montparnasse- en passe d’être rattachés à la ville. Son projet dans sa globalité implique également la fermeture de tous les cimetières devenus parisiens avec toutes ses conséquences : déplacer les corps déjà inhumés et par ailleurs transférer directement ceux des nouveaux décédés.

Fermer les trois cimetières, oui, mais pour quelle solution alternative ? en 1863, Haussmann a l’idée de créer un énorme cimetière à vocation régionale, disposant d’une surface évaluée à environ 1000 ha. À titre indicatif, le Père Lachaise, pourtant le plus grand des trois grands cimetières, ne dispose encore aujourd’hui que de près de 44 ha.

Et là, la nécropole de Londres va servir de modèle à Haussmann, celle qui a vu le jour en 1849 au cimetière de Brookwood, à 40 km de la capitale.

Méry or not Méry pour Paris ?

En 1874, comme le dira M. Salier à son conseil municipal, , « c’est de haut qu’il faut envisager la question des cimetières parisiens ».

Et donc quel pourrait être le lieu choisi ? Justement en haut de Paris, très exactement à Méry-sur-Oise, un bourg de 1500 habitants. L’espace est disponible, il se trouve à une vingtaine de kilomètres de Paris, donc pas trop loin pour y accéder, mais suffisamment éloigné pour ne pas voir s’étendre la ville jusque-là pendant longtemps. Son projet est soumis à l’enquête publique en 1867.

l'arrivée des trains de Paris

Le projet de gare funéraire à Méry-sur-Oise en 1859

Les arguments en sa faveur sont nombreux :

  • La surpopulation des corps dans les trois cimetières devenus parisiens
  • l’hygiène dans Paris
  • la cohabitation des morts et des vivants de la ville, déjà interdite en 1804 sous Napoléon
  • la disponibilité de nouveaux terrains à Paris ! Ils sont bon marché tout autour des cimetières, au moment du projet … et deviendront certainement une excellente perspective offerte aux spéculateurs immobiliers.

Et dans cette campagne d’opinion, il y aussi Léon Vafflard, l’entrepreneur des pompes funèbres de Paris, qui alerte sur l’indécence des fosses communes. Dès 1867, il argumente ainsi en faveur d’Haussmann :

« la terre de ces divers cimetières, saturée de matières organiques, ne suffit plus à la consumation des corps». « … l’un des projets les plus importants de notre époque ; une prompte solution est urgente, car les places se font de plus en plus rares dans nos cimetières : la mort va vite et les morts ne peuvent attendre ».

 

Vafflard favorable au projet de Méry

Livre de Léon Vafflard sur les « champs de Sépultures » à Paris

 

Les arguments des opposants à Méry sur Oise se font par rapport à l’éloignement bien-sûr, jusqu’à parler du projet en terme de colonisation d’une terre étrangère. Sans oublier les coûts supplémentaires du transport… mais aussi critiques face à la politique de Napoléon III : « contre l’exil des morts après celui des ouvriers déplacés à la périphérie ».

En tout cas, l’Administration qui veut supprimer la fosse commune comme déjà prévu dès 1804, a déjà fait l’acquisition d’une surface de 823 ha, soit une étendue comparable à celle du bois de Boulogne.

Le train funéraire comme mode de transport

Le projet poursuit donc sa route et dans cette perspective quatre « gares reposoirs » sont prévues pour être construites indépendamment des « gares ordinaires » : une tout près des trois cimetières parisiens, et la gare d’arrivée : celle de Méry sur Oise.

Chacun des trois cimetières disposera donc d’une gare spéciale dont les wagons -adaptés suivant les classes de pompes funèbres choisies- partiront vers la gare de Montmartre, la seule à être reliée à celle de Méry, avec un départ toutes les heures vers Méry. Durée du trajet : 20mn à grande vitesse.

Et comment qualifier ces trains spéciaux par rapport aux trains dits « ordinaires » ? L’ingénieur Albert-Charles-Théodore Bassompierre-Sewrin, en charge du projet, propose de le nommer tout simplement « convois mortuaires». De son côté, le public plus contestataire retiendra plutôt l’expression des « trains de la mort ».

Les critiques sur ce mode de locomotion

Dans ce projet un peu bousculé, même le train en tant que mode de locomotion y est particulièrement critiqué. D’où l’idée en 1866 du docteur Favrot, de rendre le transport « humanisé » et même « rendu grâcieux au familles », grâce à l’attribution de billets gratuits, aller-retour naturellement.

En plus de la controverse globale, il y a également les contestations locales sur le passage prévu par le futur train traversant les terres de la région.

Ainsi, la princesse Mathilde Bonaparte, cousine de Napoléon III, est propriétaire d’un château à Saint-Gratien. Elle voit évidemment d’un mauvais œil ce projet pour la partie qui la concerne, puisque prévu pour passer par Saint-Gratien. En bout de ligne, Haussmann restera persuadé de l’influence de la princesse qui incite le ministre de travaux publics à étudier rapidement la modification du tracé.

La solution alternative : les cimetières périphériques

Arrive la guerre de 1870 / 1871, Paris est victime des prussiens puis des versaillais, et là leur perception du « culte des morts » s’exacerbe davantage. Pour autant, le projet d’Haussmann continue son chemin de recherche et l’architecte Alfred Feydeau, inspecteur général du service des cimetières, finalisera son rapport détaillé qu’il remettra en 1872.

Ce projet qui n’en finit pas sera ensuite rejeté deux fois par le conseil municipal de Paris, en 1879 et en 1881 pour voir finalement notre cimetière parisien conservé avec les deux autres.

Opposition au cimetière de Méry

Les critiques du conseil de Paris sur le projet Méry, extrait d’article daté du Petit Journal du 16 aout 1874

La solution retenue à ce problème réel pour autant, aboutira simplement à compléter en périphérie de la ville, les espaces indispensables aux futurs enterrements : les cimetières de Bagneux et Pantin seront ouverts en 1886,  puis plus tard celui de Thiais en 1929.

Et c’est ainsi que les cimetières parisiens seront sauvegardés.

Finalement et « en bout de ligne » s’agissant du baron Haussmann lui-même, son histoire se terminera comme elle avait commencé, à Paris : malgré lui mais à notre avantage, il sera enterré au cimetière du Père Lachaise.

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