Cet article inaugure une série en trois parties, toutes consacrées à l’histoire des kabyles dans le 20e. Vous pouvez y accéder directement en cliquant directement sur les titres suivants ; Les kabyles en 1871, une histoire «Commune» et L’arrivée des kabyles au XXème siècle.
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Idir et les kabyles dans le 20e
En hommage au chanteur Idir, le Conseil d’arrondissement du 20e a suivi le vœu du groupe « Paris en Commun ». Il a voté le 29 novembre dernier la dénomination de « square Idir » à la partie centrale de la place de Ménilmontant. Idir habitait Ménilmontant, il nous a quittés en 2020 et a été inhumé au Père-Lachaise.
Idir, de la Kabylie à Ménilmontant
Idir, ⵃⴰⵎⵉⴷ ⵛⴻⵔⵢⴰⵜ, en tifinagh, alphabet de la langue tamazight, est une légende de la chanson kabyle. Il nait en 1949 dans un village du Djurdjura, à 35 km de Tizi-Ouzou, capitale de la Grande-Kabylie.
Puis il vient en 1975 à Paris, et fait de Ménilmontant et de la rue des Maronites son « quartier général ». On pouvait l’y croiser presque tous les jours « Au Petit balcon » ou à « La Pétanque », des cafés du quartier. Il venait régulièrement rencontrer la communauté Kabyle, à l’ACB (Association de Culture Berbère).
Dans son dernier album, il laisse un message de ce que peut être l’ouverture dans un monde où tout semble être déterminé par le désir du repli, un message de laïcité et de citoyenneté.
Le 20e arrondissement compte une large population venue de Kabylie depuis déjà bien longtemps. Essayons d’en savoir plus.
La vie des kabyles dans le 20e
28 associations Kabyles à Paris sont notées sur le site Gralon, dont on voit ici la répartition et une concentration réelle sur et autour des 19e et 20e arrondissements de Paris.
Depuis 1979, l’ACB (Association de Culture Berbère) est la pionnière des associations berbères à vocation socioculturelle.
L’ACB c’est déjà et un peu l’histoire de Ménilmontant, celle qui s’ouvre, peut-être, du côté du 45 boulevard de Ménilmontant avec la fraternité d’Eugène et d’Aziz. Il s’agit de l’ex-communard et le ci-devant insurgé kabyle de 1871. L’histoire se poursuit au Père Lachaise, là où repose le chanteur Idir et où se perpétue, pour l’éternité, son message de Kabyle inscrit dans l’universalité. Voilà du moins quelques-unes des figures tutélaires de cette association du 20e arrondissement.
L’originalité de cette association réside dans son action pour le rayonnement de la culture berbère. Elle propose également un accompagnement juridique, social et administratif.
L’ACB-Paris est agréée Jeunesse et Éducation populaire et, depuis 2017, elle est reconnue par la CAF comme Espace de Vie Sociale ou EVS. Elle a pour engagement la liberté de conscience, le respect du principe de non-discrimination, l’égalité femmes-hommes ou encore le souci des plus jeunes : elle met en place les outils pour pouvoir vivre et partager ses appartenances – et ressources – plurielles.
Quelques autres associations locales
Citons parmi d’autres :
- L’AKRED, Association des Kabyles des deux Rives Pour L’entraide Et le Développement,
- Agir pour la Kabylie,
- L’Association Matoub Lounès, qui transmet l’art de Matoub Lounès et promeut la culture berbère en France,
- Kabylie équitable, association engagée dans le commerce équitable, productrice d’émissions de radio et de télévision.
Les cafetiers et la licence IV
Quant aux lieux de convivialité, les « bistrots » en particulier, remontons à la fin des années 50. A l’époque, les bougnats – nom donné aux Auvergnats montés à Paris – sont cafetiers et règnent sur un empire constitué d’hôtels, de restaurants et de bars de la capitale. Peu à peu, ils cèdent certaines affaires de l’est parisien aux Kabyles. L’indépendance de l’Algérie n’arrête en rien le processus. Avant 1962 et les accords d’Évian, seules les personnes de nationalité française pouvaient disposer de la licence IV, permettant de vendre de l’alcool à consommer sur place.
Pour éviter la perte de leur licence aux cafetiers déjà installés à Paris, des négociations amènent à ce que les ressortissants algériens soient exemptés de la condition de nationalité. C’est ainsi que les Kabyles commencent à acheter de plus en plus de cafés aux Auvergnats.
Pour la première génération d’hommes venus travailler à Paris, les cafés tenus par les Kabyles étaient des lieux de vie pour ces immigrés qui se retrouvaient isolés. Les ouvriers se retrouvaient dans ces bistrots après le travail, ou même ils habitaient dans l’hôtel au-dessus, ils pouvaient profiter du téléphone pour appeler les leurs en Algérie, ils y recevaient leur courrier, ils pouvaient bénéficier du soutien de personnes lettrées, sorte d’écrivain public, pour écrire à leur famille. Les arrière-salles servaient aussi à accueillir les « djeema », ces assemblées hebdomadaires qui les aidaient à supporter l’exil.
Chanter dans les cafés
Il ne faut pas oublier les chanteurs berbères et particulièrement kabyles qui viennent dans ces cafés pour resserrer le lien de ces immigrés avec leur terre natale, et conserver la culture kabyle. Cette production de la diaspora berbère ou amazighe est ainsi ancrée dans la langue vernaculaire des chanteurs, le tamazight ⵜⴰⵎⴰⵣⵉⵖⵜ. Les auteurs utilisent et promeuvent la variation linguistique spécifique à leur région d’origine.
Si la critique sociale et la douleur de l’exil sont toujours présentes, notamment dans la production de la première génération des immigrés représentée par Slimane Azem, un grand nombre des chansons peuvent être qualifiées de « chansons de protestation ».
Chanter en kabyle contribue pour les musiciens kabyles au maintien de leur langue et participe à la résistance à l’arabisation imposée au Maghreb[1]. En France, les chanteurs de la diaspora kabyle sont nombreux : Slimane Azem, Idir, Lounis Aït Menguellet, Lounès Matoub, Ferhat Mehenni, Karima, Malika Domrane, le groupe Djurdjura et bien d’autres.
Parmi les plus anciens cafés :
- Le Berbère Café devenu Le Berbère Rock Café, au coin du passage Dagorno
- Ighouraf, à l’angle des rues des Vignoles et Buzenval
- La Cantine des Hommes libres, rue des Maronites
Cette première génération fait tourner de modestes affaires, alors que la génération suivante, qui a repris la main dans les années 1990-2000, développe des affaires beaucoup plus prospères, face à la gentrification du quartier. Dans le 20e, ces restaurants, bars et autres cafés tenus par des familles kabyles sont pléthore[2].
Elle reprend peu à peu des lieux mythiques en conservant leur âme historique, comme par exemple les Folies, anciennement les Folies-Belleville.
Ou bien, elle rénove les cafés de quartier pour en faire des lieux fréquentés par la nouvelle population du 20e arrondissement :
- les Ours,
- les Rigoles,
- Mr Culbuto,
- Les nouveaux sauvages,
… et bien d’autres !
Combien d’histoires cachées de ce Paris kabyle existent encore dans nos quartiers ? À suivre, dans nos deux prochains articles, en 1871 puis au XXème siècle.
Pour les membres de l’AHAV, un article long est disponible dans l’espace adhérent : Les Kabyles du XXe
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↑[1] Voir La chanson kabyle en immigration : une rétrospective, Mehenna Mahfoufi, dans « Hommes & Migrations » 1994 n° 1179 pp. 32-39
↑[2] Lire : Une communauté aussi bien enracinée que mal connue, Avec les Kabyles de Ménilmontant, par Arezki Metref
Idir et les kabyles dans le 20e