En 1870, la Prusse envahit la France, Paris encerclé résiste. En 1871, le Gouvernement provisoire négocie avec les Prussiens et se charge de« prendre » Paris : là débute la Commune. Le 20e arrondissement y a pris une place toute particulière, d’où cette première compilation (*) des 20 articles concernant la Commune qui sera publiée en deux bulletins, extraits des 34 « actualités » publiées sur notre site internet (www.ahavparis.com).
2020
- 12 décembre – Les 150 ans de la Commune en préparation
- 14 décembre – Décembre 1870, que la vie est dure à Belleville 2
- 14 décembre – Longue fresque murale sur la Commune en projet
- 29 décembre – Noël 2020… Noël 1870 5
2021
- 7 janvier – L’Affiche rouge du 7 janvier 1871 8
- 24 janvier – Visioconférence : la guerre de 1870-1871 en Île-de-France
- 26 janvier – Paris et l’armistice du 26 janvier 1871 12
- 4 février – 66 ballons pour sauver Paris… en 1870 et 1871 15
- 8 février – Législatives du 8 février 1871 : « Ruraux » contre Parisiens 17
- 16 février – Thiers, chef du pouvoir exécutif le 16 février 1871
- 19 février – Parcours au Père Lachaise sur la Commune
- 25 février – La Commune divise l’Hôtel de Ville 23
- 1er mars – La « vache à Gambon » 25
- 4 mars – Trois rendez-vous pour suivre la Commune
- 8 mars – Les femmes dans la Commune et le 20e.
- 11 mars – Programme de la mairie du 20e sur la Commune
- 15 mars – Gabriel Ranvier dans le journal de la Mairie du 20e 29
- 18 mars – Main-basse sur les canons de Montmartre 31
- 28 mars – La Commune proclamée par le maire du 20e
- 1er avril – La Commune vue du 20e, visioconférence
- 3 avril – Colline, Covid, Commune : les artistes en action
- 5 avril – 3 avril 1871, 3 actions de la Commune
- 12 avril – Un bellevillois barricadier en chef de la Commune
- 5 mai – La Commune de Paris vue du 20e, sur YouTube
- 24 mai – 21 mai 1871, les Versaillais entrent dans Paris
- 25 mai – Robida, reporter de guerre communard
- 30 mai – Finalement, une plaque au mur des fédérés
- 1er juin – La fin de l’aventure
- 4 juin – Le 20e et la semaine sanglante (conférence au PCB)
- 7 juin – Inauguration du jardin Paule Minck
- 4 septembre – Expositions et film : Raphaël Meyssan à la fête
- 7 septembre – Les évènements de l’automne sur la Commune
- 23 septembre – Cinq courts métrages au PCB sur la Commune
- 20 novembre – « Dessiner la Commune ». Illustrations et dessins d’Éloi Valat
Décembre 1870, que la vie est dure à Belleville
Article paru le 14 décembre 2020
Il y a 150 ans, tout juste trois mois avant le début de la Commune, Paris vivait déjà assiégé par l’armée prussienne qui encerclait la ville. Que se passait-il précisément en ce mois de décembre ? Quel était le quotidien des habitants ? Comment arrivaient-ils à survivre ?
À travers ce docu-fiction paru ce mois-ci [déc. 2020] dans L’Ami du 20e, notre vice-présidente Christiane Demeulenaere-Douyère nous fait partager ici sous forme d’une lettre privée – légèrement modifiée par rapport à l’article – ces moments particulièrement intenses.
Mes chers cousins,
Le mois de décembre 1870 arrive à grands pas et la situation ici ne va pas en s’améliorant…
Depuis bientôt trois mois, c’est-à-dire depuis le 19 septembre, nous vivons assiégés, reclus par le système de fortifications mis en place par Thiers en 1843, des murs qui devaient nous protéger, qu’on nous avait dit, mais qui se sont finalement refermés sur nous comme un piège. Quant aux Prussiens, au début, ils ont laissé sortir les plus riches et les plus prévoyants qui couraient se réfugier à la campagne. Maintenant, ils attendent tranquillement, en fumant leurs pipes, que Paris tombe de lui-même, comme un fruit mûr…
Partout, les uniformes bleu et rouge de la Garde nationale ont fleuri car beaucoup de petites gens et d’ouvriers ont perdu leur travail. Mon patron, qui est laqueur sur bois, n’a plus de commandes et il m’a renvoyé. On s’est enrôlé chez les gardes nationaux pour toucher la maigre solde, le seul moyen de faire vivre la famille. Vivre ? plutôt survivre… car, 1f50 par jour, ça ne suffit pas à faire bouillir la marmite… d’autant que bientôt on sera six, Marie attend un petit pour mai… Mais peut-être que cette damnée guerre sera finie d’ici là, c’est ce que nous espérons…
L’étau se resserre et le ravitaillement n’entre plus depuis des semaines… Comme d’habitude certains en profitent pour spéculer… Mais, pour les plus pauvres – et on est nombreux –, la vie est de plus en plus dure malgré les efforts des commissions municipales nommées pour remplacer les autorités défaillantes. Le 6 octobre, on a ouvert des boucheries municipales, mais, faute d’approvisionnement, dès le 12, elles n’ont plus distribué que 100 grammes de viande par personne, et encore après des heures et des heures d’attente !
Et, à la fin du mois, il ne restait que du suif sur les étals. Le 10 novembre, un boucher a commencé à vendre du chien… ensuite, on s’est rabattus sur les chevaux et les mulets, puis les chats, les rats, les moineaux qu’on mangeait en brochettes… bah ! pas très dodus, les moineaux de Paris, mais pas si mauvais, après tout !! Je les préfère aux rats.
Boucherie canine et féline pendant le siège de Paris, Le Monde Illustré, 4 février 1871.
Mon voisin m’a raconté qu’un marché aux rats où on va choisir sa bestiole, s’est ouvert devant l’Hôtel de Ville. Enfin… moi ça me dégoûte ! On a aussi sacrifié les animaux du Jardin d’acclimatation, qu’on ne pouvait plus nourrir, mais cette viande-là, elle est réservée aux bourses bien garnies… Inutile de vous préciser qu’à Belleville, on n’en a pas beaucoup vu, de viande de yacks ou de rennes !
On a gardé les deux éléphants du Jardin, Castor et Pollux, jusqu’à la fin du mois de novembre et puis, il y a quelques jours, on les a fusillés sans pitié ! A ce train-là, ce sera bientôt la famine… la livre de beurre coûtera 30 francs le kilo, la livre de chien 4 francs, le chat 20 francs, le corbeau 4 francs et le pain sera rationné…
Siège de Paris, l’abattage de l’éléphant au Jardin d’acclimatation.
Et, en plus, l’hiver s’annonce rigoureux, c’est ce que les anciens prédisent… On redoute de manquer de charbon et de gaz pour cuisiner et se chauffer ; il faudra alors aller couper les arbres des boulevards.
Je me demande comment je vais vous faire parvenir ma lettre. Rien n’entre dans Paris, rien n’en sort, les Prussiens y veillent ! Les ballons montés sont réservés aux dépêches officielles… Avec un peu de chance, je trouverai bien un gars qui aura un pigeon voyageur…
Des fois, on est bien découragés, je vous assure, mes chers cousins… On se demande pourquoi endurer tant de privations ? Bien sûr parce qu’on l’aime, la France… la honte de la capitulation de Sedan nous a fait mal, et ces Prussiens, on finira bien par les avoir…
Et bien sûr aussi parce qu’on l’aime, cette République, que nous avons espérée si longtemps… Mais le gouvernement de la Défense nationale nous a bien laissés tomber, nous autres pauvres Parisiens… De plus en plus, dans les files d’attente ou entre voisins, on entend dire : « Ils nous ont trahis » …
Marie et les mioches vont bien. On vous embrasse, en espérant vous revoir bientôt.
Noël 2020… Noël 1870
Article paru le 14 décembre 2020
Bons de bois distribués à Paris pendant l’hiver 1870-1871, Archives de Paris.
En 1870, Noël tombe un dimanche. Paris est assiégé par l’armée allemande depuis 100 jours. Il fait un froid rigoureux qui dure depuis déjà plusieurs semaines. Le 25 décembre, le sol est tellement dur que le travail des tranchées est arrêté. Et la pénurie de ravitaillement se fait cruellement sentir.
Victorine Brocher nous a laissé, dans ses Souvenirs d’une morte vivante (rééd. Libertalia, 2017, p. 144-147), un témoignage poignant de ces tristes journées.
« 24 décembre, on commence les baraques des boulevards ; ce pauvre Paris épuisé a encore besoin de se faire de fausses joies ; quel assemblage bizarre que ces pauvres petites bicoques qui n’ont rien à leur étalage, elles n’ont pour hochets que des pantins articulés, caricaturant Bismarck, de Moltke et l’empereur, en pains d’épices. […]
Le 25, jour de Noël, on m’a envoyé pour moi une livre de beurre et une demi- mesure de pommes de terre. C’est un présent princier. Je n’ai jamais pu savoir qui me l’a envoyé, un garde de ma compagnie, je suppose.
Aux avant-postes, le 22 décembre, le froid est terrible ; les soldats, les pieds sur la terre gelée, souffrent horriblement, on ne compte pas moins de 900 morts de congélation.
Le jour de Noël, le froid est si rigoureux que plusieurs gardes nationaux sont morts aux remparts. Moi-même, le matin, je suis sortie de ma casemate, j’avais si froid, je fus saisie ; les larmes me coulaient des yeux, elles gelèrent sur mes joues, je les détachais difficilement de mon visage.
Le 26, le froid continue toujours, le combustible manque, la nourriture est déplorable ; on coupe toujours les arbres des avenues du bois de Boulogne.
« La queue pour la viande de rats », par CHAM.
Aujourd’hui je suis libre de service, je vais au cimetière ; devant la porte il y a des files ininterrompues de corbillards ; les chevaux soufflent, les cochers battent la semelle en attendant leur tour d’entrer.
Les nerfs sont si tendus, notre malheur est si grand qu’on ne pleure plus les morts ; on les enfouit et l’on court reprendre son poste d’action, allant vers d’autres hécatombes ; telle est la vie à Paris.
Le peu de personnes qui ne font pas partie de la vie active se couchent à 7 heures du soir et se lèvent à 9 heures du matin ; il fait si froid dans les chambres, au lit, on a plus chaud.
Le 29 décembre. Pour la première fois, vraiment, on voit poindre sur tous les visages le découragement. […]
Ainsi finit l’année 1870 (L’année terrible). D’autres misères, des événements plus cruels et plus affreux encore allaient dériver ce ceux-ci. […]
1er janvier 1871, quelle triste journée pour nous, dans la matinée je suis rentrée à la maison ; il faisait froid aux bastions ; ce qui était plus triste encore, chemin faisant, on rencontrait de pauvres femmes tellement affaiblies qu’elles s’évanouissaient sur la voie publique, c’était navrant. Malgré assistance et dévouement, on ne pouvait parvenir à secourir toutes ces infortunées.
Ce jour-là, nous eûmes un petit moment assez heureux ; ma mère m’avait rarement une journée entière ; en cet honneur, elle nous fit des pommes de terre frites avec le présent que j’avais reçu pour Noël. Les enfants étaient si contents, notre boulanger nous avait vendu un peu de grosse braise que nous mîmes dans notre petit fourneau à trois trous, le dessus en catelles bleues et blanches, fourneau dit parisien.
À la vue des pommes de terre dorées, les enfants dansaient de joie. »
Pour en savoir plus :
Et sur France Inter : « 1871, un 1er janvier glacial », 31 décembre 2020 par Jean Lebrun (4mn)
L’Affiche rouge du 7 janvier 1871
Article paru le 7 janvier 2021
La plus célèbre des « Affiches rouges » qui ont marqué l’histoire est une affiche de propagande allemande placardée massivement en France sous l’Occupation, lors de la condamnation à mort de 23 membres des Francs-Tireurs et Partisans – Main d’œuvre Immigrée (FTP-MOI), résistants de la région parisienne, fusillés au Mont-Valérien, le 21 février 1944.
Pourtant, il y a une autre « Affiche rouge », moins connue, celle du 7 janvier 1871.
Le 7 janvier 1871, les murs de Paris, assiégé par les troupes allemandes depuis plus de trois mois et réduit à la famine et à la misère, se réveillent recouverts d’une « Affiche rouge », qui est un appel à la formation d’une Commune de Paris.
Après l’échec du soulèvement du 31 octobre 1870[1] contre la politique du Gouvernement de la Défense nationale, les blanquistes viennent renforcer les Internationalistes dans les clubs. En décembre 1870, dans les clubs politiques parisiens, on élit des délégués pour la Commune. Le
30 décembre1870, le Comité central républicain des Vingt arrondissements se réunit sur l’ordre du jour suivant : « De la Commune révolutionnaire et des moyens pratiques pour l’installer révolutionnairement ». Le 5 janvier 1871, l’Affiche rouge est rédigée et prête à être placardée.
Sa rédaction est l’œuvre d’Émile Leverdays, de Gustave Tridon, d’Édouard Vaillant et de Jules Vallès, à la demande de la Délégation des Vingt arrondissements (nom provisoire du Comité central républicain des Vingt arrondissements). Elle porte les signatures de cent quarante délégués.
Il s’agit d’une déclaration de guerre contre le Gouvernement de la Défense nationale : « Le gouvernement qui, le 4 septembre, s’est chargé de la défense nationale a-t-il rempli sa mission ? — Non ! »
Suivent les griefs contre le gouvernement : refus de la levée en masse, répression contre les républicains après le soulèvement du 31 octobre, incapacité de ravitailler les Parisiens, sorties militaires mal préparées et vouées à l’échec…
« Si les hommes de l’Hôtel de Ville ont encore quelque patriotisme, leur devoir est de se retirer, de laisser le peuple de Paris prendre lui-même le soin de sa délivrance ? […] Place au Peuple ! Place à la Commune ! ».
Suit un véritable programme d’action en trois points :
Réquisitionnement général des ressources matérielles et humaines ; Rationnement gratuit ; Lutte à outrance pour en finir avec le siège.
Mais le Gouvernement reste en place et le général Trochu fait placarder le même jour une affiche blanche accusant de calomnie les auteurs de l’affiche rouge.
Une tentative de soulèvement échoue le 22 janvier 1871. L’armistice franco-allemand est signé le 29 janvier suivant. Il faudra attendre les événements du 18 mars 1871 pour que l’idée de Commune soit enfin appliquée.
Texte de l’Affiche
AU PEUPLE DE PARIS Les Délégués des Vingt Arrondissements de Paris
Le gouvernement qui, le 4 septembre, s’est chargé de la défense nationale a-t-il rempli sa mission ? – Non !
Nous sommes 500 000 combattants et 200 000 Prussiens nous étreignent ! À qui la responsabilité, sinon à ceux qui nous gouvernent ?
Ils n’ont pensé qu’à négocier au lieu de fondre des canons et de fabriquer des armes. Ils se sont refusés à la levée en masse.
Ils ont laissé en place les bonapartistes et mis en prison les républicains. Ils ne se sont décidés à agir enfin contre les Prussiens qu’après deux mois, au lendemain du 31 octobre.
Par leur lenteur, leur indécision, leur inertie, ils nous ont conduits jusqu’au bord de l’abîme : ils n’ont su ni administrer ni combattre, alors qu’ils avaient sous la main toutes les ressources, les denrées et les hommes. Ils n’ont pas su comprendre que, dans une ville assiégée, tout ce qui soutient la lutte pour sauver la patrie possède un droit égal à recevoir d’elle la subsistance ; ils n’ont rien su prévoir : là où pouvait exister l’abondance, ils ont fait la misère ; on meurt de froid, déjà presque de faim : les femmes souffrent, les enfants languissent et succombent.
La direction militaire est plus déplorable encore : sorties sans but ; luttes meurtrières sans résultats ; insuccès répétés, qui pouvaient décourager les plus braves ; Paris bombardé. – Le gouvernement a donné sa mesure : il nous tue. – Le salut de Paris exige une décision rapide. – Le gouvernement ne répond que par la menace aux reproches de l’opinion. Il déclare qu’il maintiendra l’ORDRE, – comme Bonaparte avant Sedan.
Si les hommes de l’Hôtel de Ville ont encore quelque patriotisme, leur devoir est de se retirer, de laisser le peuple de Paris prendre lui-même le soin de sa délivrance. La municipalité ou la Commune, de quelque nom qu’on l’appelle, est l’unique salut du peuple, son seul recours contre la mort.
Toute adjonction, ou immixtion au pouvoir actuel ne serait qu’un replâtrage, perpétuant les mêmes errements, les mêmes désastres. – Or la perpétuation de ce régime, c’est la capitulation, et Metz et Rouen nous apprennent que la capitulation n’est pas seulement encore et toujours la famine, mais la ruine et la honte. – C’est l’armée et la Garde nationale transportées prisonnières en Allemagne, et défilant dans les villes sous les insultes de l’étranger ; le commerce détruit, l’industrie morte, les contributions de guerre écrasant Paris : voilà ce que nous prépare l’impéritie ou la trahison.
Le grand peuple de 89, qui détruit les Bastilles et renverse les trônes, attendra-t-il dans un désespoir inerte, que le froid et la famine aient glacé dans son cœur, dont l’ennemi compte les battements, sa dernière goutte de sang ? – Non !
La population de Paris ne voudra jamais accepter ces misères et cette honte. Elle sait qu’il en est temps encore, que des mesures décisives permettront aux travailleurs de vivre, à tous de combattre.
Réquisitionnement général, – Rationnement gratuit, Attaque en masse. La politique, la stratégie, l’administration du 4 septembre, constituées de l’Empire, sont jugées. Place au peuple ! Place à la commune !
Quand Paris apprend l’armistice du 26 janvier 1871
Article paru le 26 janvier 2021
Dès le 27 janvier 1871, un bruit se répand dans Paris comme une traînée de poudre : l’armistice va être signé !! Un bataillon de la Garde nationale défile devant l’Hôtel de Ville aux cris de « A bas les traîtres » et 400 officiers signent un pacte de résistance. Le 28 janvier, le Journal Officiel annonce l’armistice et en publie, le 29 janvier, le texte qui va être placardé dans les rues… Après 4 mois et 12 jours de siège, de privations et de souffrances, tout est perdu…
Alors que Guillaume Ier a proclamé l’Empire allemand, le 18 janvier 1871, dans la galerie des glaces du château de Versailles, l’échec sanglant de la sortie de Buzenval, le 19 janvier 1871, rend la situation de Paris désespérée.
Proclamation de l’Empire allemand par Guillaume Ier, le 18 janvier 1871,
dans la galerie des glaces du château de Versailles.
Tableau d’Anton von Werner, Bismarck-Museum Friedrichsruh, 1885.
Le Gouvernement de la Défense nationale s’affronte à la révolte des Parisiens qui manifestent, le 22 janvier 1871, devant l’Hôtel de Ville aux cris de « Pas d’armistice ! Guerre à outrance ! Vive la Commune ! ».
La manifestation est brutalement dispersée au prix d’une trentaine de morts et de nombreux blessés.
Mais, dès le 23 janvier, Jules Favre, ministre des Affaires étrangères du Gouvernement de la Défense nationale, rencontre le chancelier Otto von Bismarck à Versailles. Ses exigences sont importantes :
- La France doit procéder à des élections pour la formation d’une assemblée qui devra ratifier la paix.
- Les forts entourant la capitale doivent être livrés au vainqueur.
- Les soldats défendant Paris doivent être désarmés.
- Les Allemands peuvent entrer dans Paris.
- Paris doit verser une rançon – le mot est de Bismarck – de 200 millions de francs.
- L’armistice est prévu pour une durée de trois semaines, pendant lesquelles seront négociés les préliminaires de paix.
Jules Favre obtient quelques concessions. L’équivalent d’une division militaire est autorisé pour maintenir l’ordre. La Garde nationale parisienne n’est pas désarmée.
L’entrée des Allemands dans la capitale est repoussée au début du mois de mars 1871. En revanche, la zone d’opérations de l’armée de l’Est se trouve exclue de l’armistice et Jules Favre omet d’en informer la délégation gouvernementale de Bordeaux et donc l’armée en question.
Celle-ci est attaquée par surprise, subit de lourdes pertes (près de 15 000 hommes) et doit se réfugier en Suisse, où les soldats sont désarmés. Clémenceau déclare : « On nous a livrés sans merci ».
Le 25 janvier, le gouvernement français donne son accord sur les conditions de l’armistice, qui est signé par Favre, à Versailles, le 26 janvier 1871. A minuit, les canons allemands qui pilonnaient la capitale se taisent…
Le 28 janvier 1871, alors que Paris apprend l’armistice, le dernier ballon monté, le Général-Cambronne, s’envole de la gare de l’Est, portant la nouvelle de l’armistice à la province. Il termine sa course à Sougé-le-Ganelon (Sarthe), après avoir parcouru 253 kilomètres.
Pour Gambetta, la province doit refuser ce « pacte infâme ». Il prône de continuer la guerre contre l’avis d’Arago, de Garnier-Pagès et de Pelletan ; mais il doit démissionner du gouvernement le 6 février.
Le 8 février 1871, ont lieu les élections de l’Assemblée constituante, favorables aux royalistes et dans une moindre mesure aux républicains. À Paris, Louis Blanc arrive en tête, suivi de Victor Hugo, de Léon Gambetta et de Giuseppe Garibaldi. Mais, à cause des candidatures multiples possibles, Adolphe Thiers arrive en tête dans 26 départements.
Ces résultats illustrent l’antagonisme entre Paris et sa volonté de résistance, et la province qui veut en finir avec la guerre. Réunie à Bordeaux, l’assemblée désigne Thiers comme chef du pouvoir exécutif, plébiscitant ainsi les partisans de la Paix.
L’armistice, qui s’achève le 19 février 1871, est prolongé jusqu’au 26 février, date à laquelle le nouveau gouvernement signe le traité préliminaire de paix, avant même l’effondrement militaire complet de la France (on se bat encore dans le Nord sous le commandement de Faidherbe, à Bitche, avec le commandant Teyssier (fin du siège le 26 mars 1871) et à Belfort avec le colonel Denfert-Rochereau (fin du siège le 13 février 1871).
Le texte est ratifié par l’Assemblée nationale le 1er mars 1871 par 546 voix contre 107 et 23 abstentions. Les 35 députés des territoires cédés d’Alsace-Moselle quittent la séance et, le soir même, le député-maire de Strasbourg, Émile Küss, succombe à une crise cardiaque. Le traité définitif (traité de Francfort) sera signé le 10 mai 1871.
Le peuple de Paris se sent trahi et humilié… sa révolte s’exacerbe. Ainsi l’armistice de janvier 1871 prépare la Commune de mars 1871.
66 ballons pour sauver Paris… en 1870 et 1871
Article paru le 4 février 2021
Pendant le Siège de Paris, en 1870, des ballons avec nacelle ont été utilisés pour le transport du courrier civil et militaire, de pigeons- voyageurs et des passagers. Ils étaient gonflés avec du gaz d’éclairage très inflammable et donc dangereux.
Les départs se faisaient de jour comme de nuit, malgré les tirs de barrage des troupes prussiennes. 66 ballons montés transportèrent 164 passagers, 381 pigeons, 5 chiens et plus de 2 millions de lettres, soit environ onze tonnes de courrier.
Liste des ballons sortis de Paris pendant le Siège.
Selon les vents dominants, et la nécessité de départs ne pouvant attendre des vents favorables, certains ballons arrivèrent en Norvège, en Allemagne, ou se perdirent dans l’Atlantique (deux disparitions), mais la plupart atterrirent en province. Cinq ballons furent capturés par l’ennemi.
Les ballons étaient la seule manière de communiquer avec la province, tous les autres moyens ayant échoué (piétons, bateaux, sous-marins, scaphandres, électricité, etc.).
Seuls les frères Albert et Gaston Tissandier tentèrent de faire le voyage en sens inverse par le même moyen, avec le Jean Bart, et organisèrent plusieurs points de départ à partir de villes non occupées, avec l’aide d’aérostiers ayant fait aussi une sortie.
Ces tentatives furent des échecs. On peut être étonné par la réussite de la plupart des missions compte tenu des conditions (ville assiégée, pilotes inexpérimentés, vols de nuit, transport de dynamite, etc.). Aucun des ballons lancés n’a connu de défaillance ni provoqué directement la mort des aéronautes.
Les deux disparitions en mer ont été provoquées par l’absence de moyen efficace de navigation, le pilote n’ayant pas estimé correctement la distance parcourue avant d’entamer sa descente. Les accidents d’atterrissage ont été provoqués surtout par l’inexpérience des pilotes et par la présence des soldats ennemis près des points de chute.
Des records ont été battus (de vitesse et de distance). Certains vols ont atteint une grande altitude (peut-être 5 à 7 000 m).
Les élections législatives du 8 février 1871 : la victoire des « Ruraux » contre les « Parisiens »
Article paru le 8 février 2021
Résultat des élections législatives de 1871, Wikipédia.
Une des conditions de l’armistice était l’élection rapide d’une nouvelle Assemblée qui aurait le pouvoir de signer la paix.
Cette élection a lieu, le 8 février 1871, dans l’improvisation totale : 43 départements sont alors sous occupation allemande et les réunions y sont interdites ; même en zone non occupée, l’état de siège prévaut dans de nombreux départements, rendant possible la suspension de la liberté de la presse et de la liberté de réunion. 372 000 Français sont détenus en Allemagne, en Belgique et en Suisse. De plus, Bismarck impose un délai de trois semaines, insuffisant pour organiser des élections démocratiques. Paris est la seule ville où la campagne électorale peut se dérouler activement.
Gambetta, craignant le retour des royalistes, fait déclarer inéligibles les personnalités les plus compromises avec l’Empire et les membres des familles ayant régné sur la France, mais ce décret est annulé par Jules Simon dès que Gambetta quitte le gouvernement, le 6 février.
Très nette victoire pour les royalistes, qui remportent une large majorité de sièges : 180 légitimistes, très souvent des nobles provinciaux auxquels il faut ajouter des bourgeois, et 214 orléanistes.
Côté républicain, c’est une défaite, en particulier pour le camp radical : l’Union républicaine (radicaux) de Gambetta, élu dans 8 départements, n’emporte qu’une petite quarantaine de sièges (Victor Hugo, Louis Blanc, Edgar Quinet, Giuseppe Garibaldi, Clemenceau…), tandis que la Gauche républicaine (modérés) (Jules Favre, Jules Ferry, Jules Grévy, Jules Simon…) dépassent largement le cap des 100 élus.
Restent enfin entre 70 et 80 « Libéraux », formant un centre gauche qui se convertit progressivement aux idéaux républicains ; on y retrouve Thiers, élu dans pas moins de 26 départements. Les bonapartistes quant à eux sauvent une vingtaine de sièges.
Giuseppe Garibaldi, patriote italien (ici en 1866) est élu à Paris, Wikipedia.
L’Internationale, la Chambre fédérale des sociétés ouvrières et le Comité central républicain de vingt arrondissements s’unissent pour présenter une liste de 43 candidats « socialistes révolutionnaires » dont seuls 4 sont élus : Ferdinand Gambon, Benoît Malon, Félix Pyat et H. Tolain.
Les campagnes, où vit encore une large part de la population, votent massivement monarchiste, pour éviter l’occupation ennemie et permettre le retour des soldats prisonniers. Les villes sont plus favorables aux Républicains. Paris élit 43 députés dont 36 républicains et opposés à la capitulation.
Félix Pyat, élu à Paris. Photographie de Nadar
La méfiance des « Ruraux » et leur haine contre les « Parisiens », accusés d’avoir perdu la France, s’exprime, le 15 février 1871, par un vote qui supprime la maigre solde de la Garde nationale.
A Paris, la Garde nationale, hostile à la capitulation, va s’organiser pour défendre la République mise en péril par la majorité monarchiste des députés.
Le 15 février 1871, les délégués de dix-huit légions se réunissent au Tivoli-Vauxhall, près de la République, pour créer le Comité central de la Garde nationale chargé de coordonner l’action des vingt légions d’arrondissements.
Pendant ce temps-là, réunie au Grand Théâtre de Bordeaux, l’Assemblée désigne, le 16 février 1871, Adolphe Thiers comme chef du pouvoir exécutif, plébiscitant ainsi les partisans de la Paix. C’est lui qui signera avec Bismarck le traité préliminaire de paix, le 26 février (ratifié par l’Assemblée le 1er mars), puis le traité de Francfort le 10 mai 1871.
Pour en savoir plus :
https://clio-cr.clionautes.org/elus-et-elections-du-8-fevrier-1871.html.
Thiers, chef du pouvoir exécutif, le 16 février 1871
« Libérateur du territoire » ou « foutriquet » ?
Article paru le 16 février 2021
Adolphe Thiers, né en 1797 à Marseille et mort en 1877 à Saint- Germain-en-Laye, a eu une carrière extrêmement remplie, qu’il n’est pas possible de raconter ici dans son intégralité : avocat, journaliste, historien et homme d’État, il fut le premier président de la Troisième République, du 31 août 1871 au 24 mai 1873.
Ambitieux provincial, devenu à Paris journaliste libéral et historien de la Révolution, il contribue aux Trois Glorieuses et à la mise en place de la monarchie de Juillet dont il est deux fois président du Conseil.
Orléaniste, partisan libéral d’une monarchie constitutionnelle, dans laquelle « le roi règne, mais ne gouverne pas », il s’éloigne du roi sur la politique étrangère (crise de 1840) et critique l’intransigeance de Guizot qui provoque la révolution de 1848. Il se rallie à la République pour l’orienter vers une politique d’ordre préparant un retour à la monarchie constitutionnelle. Opposé au coup d’Etat du 2 décembre 1851, il ne se rallie jamais à Napoléon III, auquel il demande en 1864 les « libertés nécessaires ».
Thiers par Daumier. Lithographie publiée dans le Charivari, 2 juin 1833.
Après la chute du Second Empire, lors de la guerre contre la Prusse, Thiers devient chef du pouvoir exécutif, le 16 février 1871. A lui de négocier le traité de Francfort avec le chancelier Bismarck. Il se lance aussi dans des réformes financières, administratives et militaires.
Il réussit à boucler en deux ans le remboursement de l’indemnité de guerre de 5,5 milliards de francs exigée par les Allemands, somme correspondant à deux ou trois budgets annuels à cette époque. Pour cela, il lance des emprunts en juin 1871 et juillet 1872, qui permettent le départ anticipé des troupes d’occupation dès septembre 1873 (à l’exception de l’Alsace et du nord de la Lorraine).
Caricature de Thiers, « projet » en remplacement de la colonne Vendôme, lithographie BHVP.
Thiers entreprend aussi de réformer la carte administrative par deux grandes lois :
- La loi du 14 avril 1871 qui revient sur celle du 7 juillet 1852 : le maire est élu par le conseil municipal (lui-même élu au suffrage universel), sauf dans les villes de plus de 20 000 habitants où le maire est nommé à la discrétion du gouvernement. Cette défiance à l’égard des grandes municipalités s’explique par les événements de la Commune. Par ailleurs, Paris « bénéficie » d’un régime spécial, sans maire.
- La loi du 10 août 1871 qui maintient le préfet comme unique représentant de l’État dans le département ; le Conseil général de préfecture est, comme sous le Second Empire, élu au suffrage universel masculin, mais, et c’est une nouveauté, le département obtient le statut de collectivité
Enfin, est votée la loi du 27 juillet 1872 sur l’armée, refusant aux militaires le droit de vote. L’armée devient ainsi « la Grande Muette ».
Mais le nom de Thiers reste aussi attaché à la répression sanglante de la Commune. Depuis Versailles, où il s’est replié avec le gouvernement, il organise le siège de Paris qui se solde par l’écrasement de l’insurrection, dotée de moindres capacités militaires. La répression qui suit – exécutions sommaires en nombre, procès expéditifs condamnant des Communards à la mort, au bagne ou à la déportation – ont terni durablement sa réputation. Rappelons ces mots de Clémenceau, maire du 18e arrondissement en 1871 : « Thiers, le type même du bourgeois cruel et borné, qui s’enfonce sans broncher dans le sang ».
Le 31 août 1871, il devient le premier président de la Troisième République. Son ralliement définitif à une « République conservatrice » provoque, en mai 1873, sa mise en minorité face aux monarchistes majoritaires au Parlement et entraîne sa démission de la présidence de la République. Il mène dès lors campagne dans l’opposition aux côtés des Républicains, dont il prend la tête, et les mène à la victoire en 1876. Il meurt à l’âge de 80 ans, peu avant le triomphe définitif des Républicains à la Chambre des députés.
De petite taille (1,55 m) et le teint noir, doté d’un physique disgracieux et d’une voix aiguë et nasillarde, Thiers a été une cible de choix pour les caricaturistes de son temps. Il suffit de taper, dans une barre de recherche « Thiers et caricatures », pour voir apparaître des centaines d’images souvent très cruelles, signées de Daumier, Gill, Pilotell… et de bien d’autres.
Pour en savoir plus :
https://www.herodote.net/Le_liberateur_du_territoire_-synthese-210.php
En 2021, la Commune divise toujours l’Hôtel de Ville
Article paru le 25 février 2021
En 2021, la Commune fait toujours l’objet de divisions politiques enflammées à Paris. Une actualité présente rattrapée par son passé, mis en lumière lors du conseil municipal du 3 février.
Dans un article du Monde du 23 février, les débats au conseil de l’Hôtel de Ville sont rapportés avec comme titre : « Tensions à la Mairie de Paris autour des 150 ans de la Commune » puis « La droite est hostile aux commémorations prévues par la maire socialiste ».
Extraits :
Parmi les vingt-sept associations à subventionner, il en est une à laquelle son parti, Les Républicains (LR), ne veut pas accorder un centime : les Amies et amis de la Commune de Paris 1871… Cette association coprésidée par un ancien dirigeant communiste glorifie les événements les plus violents de la Commune », peste (…) M. Granier (…) élu LR.
Patrick Bloche, l’adjoint socialiste d’Anne Hidalgo qui préside la séance, ponctue cette diatribe d’une phrase : « Ce qui me rassure, c’est que je crois au clivage entre la gauche et la droite, et vous l’avez illustré parfaitement, cent cinquante ans après la Commune ». Entre les deux camps, la joute verbale se poursuit près d’une heure…
… « je m’attendais plutôt à des attaques sur la gauche », raconte Karen Taïeb, l’adjointe socialiste chargée du patrimoine et de l’histoire de Paris. L’association des Amies et amis de la Commune avait réclamé sans succès qu’une station de métro porte le nom de « Commune de Paris 1871 ». Elle aurait pu revenir à la charge.
Le risque paraissait élevé, surtout qu’une partie de la gauche proteste contre le projet validé par la Mairie de classer aux monuments historiques le Sacré- Coeur, une basilique dont la construction a longtemps été perçue comme un acte d’expiation après les « excès » de la Commune.
Karen Taïeb, adjointe en charge du patrimoine, de l’histoire de Paris
et des relations avec les cultes.
Karen Taïeb avait d’ailleurs décidé, à l’automne 2020, de repousser à 2022 le débat sur ce sujet sensible, « pour donner toute sa place à l’anniversaire de la Commune ».
… La doctrine des LR et apparentés est simple. Commémorer la Commune, oui. La célébrer, non. Pas question de valoriser « ce triste moment de guerre civile », plaide (…) l’avocat Antoine Beauquier (…).
En réponse et en proposition, Danièle Simonnet (élue du 20e) rappelle les origines et les apports de la Commune.
Elle souhaite que les hommages soient rendus aux élus de la Commune (les femmes n’étaient pas éligibles à cette époque) sous forme de plaques commémoratives à écrire en concertation avec les associations concernées.
Elle s’associe à l’amendement de Nathalie Maquoi (élue du 20e) dans sa proposition d’ajout de plaques en faveur des femmes ayant été particulièrement actives pendant la Commune.
Au nom de l’exécutif municipal, Laurence Patrice souligne la volonté politique d’une mémoire apaisée en s’adressant à l’opposition. Elle rappelle que chaque maire d’arrondissement reste libre d’apposer ou non des plaques commémoratives, par ailleurs financées sur le budget de l’Hôtel de Ville.
La « vache à Gambon »
Article paru le 1er mars 2021
Il y a, dans le 20e arrondissement, une rue Ferdinand Gambon. Au n° 4 de cette petite rue du quartier de Charonne, se trouve la gare de la rue d’Avron, sur l’ancienne ligne de Petite Ceinture.
C’est en 1905 que le nom de ce Communard a été attribué à la « Petite- rue-du-Chemin-de-Fer », qui bordait le chemin de fer de Petite Ceinture et qui avait été auparavant rattachée (par arrêté du 1er février 1877) à la rue de la Croix-Saint-Simon.
Charles Ferdinand Gambon (1820-1887) a été une grande figure de l’histoire républicaine du XIXe siècle.
D’une famille aisée, né dans le Berry, il prend conscience très tôt de la misère des campagnes. Il devient avocat à 19 ans et crée à Paris, en 1840, le Journal des Écoles. En 1846, il est nommé juge suppléant à Cosne-sur-Loire (Nièvre), mais est suspendu dès 1847 pour ses positions antiroyalistes : il refuse, dans un banquet, de porter un toast au roi Louis-Philippe.
En 1848, Gambon prend la tête du mouvement républicain dans la Nièvre ; il est élu à l’Assemblée Constituante et s’y oppose à la répression des journées de Juin 1848. En 1849, il est réélu à la Législative. Il participe à la journée du 13 juin 1849 [1], ce qui lui vaut d’être inculpé de complot et incitation à la guerre civile. La Haute Cour de Versailles le condamne à dix ans de déportation, peine qu’il effectue à Belle-Île.
Libéré, il se fait agriculteur dans la Nièvre et reste un opposant au Second Empire. En 1869, il se distingue par sa campagne pour le refus de payer l’impôt, écrivant à son percepteur :
« Je ne veux payer ni casse-têtes ni chassepots ; je laisse pour le compte de votre maître les provocations de Paris et le sang de La Ricamarie [2] et d’Aubin. En payant je deviendrais son complice. »
Le fisc saisit ses meubles et ses bestiaux dont une vache qui deviendra « la » vache la plus célèbre de l’histoire de France quand La Marseillaise, le journal de Henri Rochefort, lancera une souscription nationale pour racheter « la vache à Gambon » et ridiculisera ainsi le pouvoir en place.
Cette vache devient célèbre grâce à la chanson de P. Avenel, La Vache à Gambon:
La Vache à Cambon, document extrait de la Chanson Illustrée parue en 1870, BnF.
[…] Gambon trouvant que l’on abuse
Des droits du fisc, il se refuse
À payer tous les lourds impôts
Dont on nous frappe à tout propos. (bis)
Mais le peuple prenant à tâche
De lui rendre, à ses frais, la vache
Qu’on vendit devant sa maison :
Il est de la vache à Gambon. (bis)
Toutes les fois qu’un homme honnête
À l’arbitraire tiendra tête,
Un pouvoir fort et maladroit,
En vain contestera ce droit. (bis)
En lui voyant donner l’exemple
De chasser les vendeurs du temple,
Le Peuple dira : c’est un bon !
Il est de la vache à Gambon. (bis)[…]
Aux élections législatives de février 1871, Ferdinand Gambon est un des quatre élus « socialistes révolutionnaires » (avec Benoît Malon, Félix Pyat et Henri Tolain) envoyés à l’Assemblée de Bordeaux. Il en démissionne le 26 mars 1871 à la suite de son élection au Conseil de la Commune par le 10e arrondissement. Il est membre de la Commission de la Justice et de celle des Prisons, mais refuse le poste de procureur de la Commune, parce qu’il trouve le poste « antipathique ». Le 9 mai 1871, il devient membre du Comité de Salut public.
Il prend part à la Semaine sanglante, mais il réussit à s’enfuir et s’établit en Suisse. En novembre 1871, le 5e Conseil de guerre le condamne, par contumace, à vingt ans de travaux forcés, puis, en 1872, à la peine de mort.
En Suisse, Gambon écrit deux brochures, La Revanche de la France et de la Commune (1871) et Réponse à l’Assemblée « souveraine » de Versailles. La dernière Révolution (1872), qui préconisent le droit au travail et la suppression de l’armée. Avec Gustave Cluseret, il fonde le Bulletin de la Commune. Il adhère à la Fédération jurassienne de l’Association internationale des travailleurs (AIT) et rencontre Bakounine dont il se rapproche des convictions libertaires.
Rentré en France après l’amnistie générale de 1880, il est élu député radical de la Nièvre. Battu aux élections de 1885, alors qu’il se présente comme candidat socialiste, avec seulement 5 836 voix, le même jour, il est élu dans la Seine par 50 213 voix. Lors du scrutin complémentaire du 13 décembre, comme candidat du « comité central » des radicaux- socialistes dans la Seine, il est battu et se retire à Cosne-sur-Loire.
1830 – 1848 – 1871. Des Trois Glorieuses à la IIIe République
1830 : émeutes et barricades à Paris, chute du roi Charles X, avènement d’une Monarchie constitutionnelle. – 1848 : émeutes et barricades à Paris, chute du roi Louis-Philippe et proclamation de la Deuxième République. – 1870-1871 : défaite de Sedan, chute du Second Empire, proclamation de la République, puis Commune de Paris.
Le XIXe siècle est bien le « siècle des Révolutions » et certains « vieux de la vieille » des mouvements révolutionnaires ont pu être des acteurs des unes et des autres.
Parmi les plus « anciens combattants de la Commune », certains avaient voué de longue date leur vie à la lutte révolutionnaire et se battaient déjà sur les barricades de 1830. En Nouvelle-Calédonie, on comptait au moins 25 hommes nés avant 1812, et le titre de doyen revenait probablement à Charles Contal, né en 1806, jugé « indigne d’indulgence, malgré son âge ». Certains sont bien connus comme Auguste Blanqui (1805-1883), Charles Delescluze (1809-1871) ou Félix Pyat (1810-1889).
Nombreux étaient aussi les combattants de 1871 qui avaient participé activement aux Journées de 1848, comme Charles Beslay (1795-1878), élu du 6e arrondissement et doyen d’âge de la Commune de Paris, ou comme Ferdinand Gambon.
Pour en savoir plus :
https://maitron.fr/spip.php?article135924, notice GAMBON Ferdinand, revue et complétée par Jean-Yves Mollier, version mise en ligne le 1er décembre 2010, dernière modification le 29 janvier 2021.
Ferdinand Gambon, vers 1870, photographie, Wikipedia.
[1] Dernière « journée révolutionnaire » de la IIe République. Il s’agissait, à l’origine, de protester contre la politique menée à Rome par le gouvernement par une manifestation organisée par l’extrême-gauche de l’Assemblée, « la Montagne », qui comptait alors 124 députés, autour de Ledru-Rollin. La manifestation se transforme en tentative de constitution d’un gouvernement révolutionnaire, mais la journée se solde en échec
[2] Le 16 juin 1869, à La Ricamarie (Loire), le 4e régiment d’infanterie de ligne tire sur la population rassemblée au ravin du Brûlé ; la fusillade fait 14 morts dont un bébé et de nombreux blessés. En octobre 1869, un mouvement similaire dans le bassin houiller d’Aubin (Aveyron) fait également 14
Gabriel Ranvier, le héros de Belleville
Article paru le 15 mars
L’AHAV a eu l’honneur de la 4e de couverture de Paris Vingtième, journal municipal du 20e arrondissement, pour évoquer Gabriel Ranvier, maire du 20e pendant la Commune. Une voie à son nom est prévue dans notre arrondissement.
« Ranvier. Un long corps maigre au haut duquel est plantée, comme au bout d’une pique, une tête livide, qu’on croirait coupée s’il baissait les paupières […] Mais qu’il ouvre la bouche et qu’il parle, un sourire d’enfant éclaire son visage […]. » (Jules Vallès, L’Insurgé)
Gabriel Ranvier fait partie de ces figures qui n’ont pas écrit l’histoire de la Commune. Mais qui l’on faite ! De sa plume ne reste que sa signature au bas de la dernière affiche de la Commune qui proclame :
« Citoyens du XXe arrondissement,
Le moment est venu de combattre avec acharnement un ennemi qui nous fait depuis deux mois une guerre sans pitié.
Si nous succombions, vous savez quel sort nous serait réservé. Aux armes donc, et ne les quittons plus qu’après la victoire. De la vigilance […].
Je viens donc, dans un intérêt commun, au nom de la solidarité qui unit en ce moment tous les révolutionnaires, vous demander d’exécuter fidèlement les ordres qui vous seront transmis […]. En avant donc et Belleville aura encore une fois triomphé. Vive la République ! »
Quel meilleur hommage pour cette grande figure du 20e arrondissement, et au-delà, que de lui dédier cette page du journal municipal.
Élu Maire du 20e arrondissement
Le 6 novembre 1870, Gabriel Ranvier est élu maire du 20e, mais, très vite, l’élection de ce « petit patron » d’un atelier de décoration sur porcelaine et laque est invalidée pour « faillite ».
Il s’engage alors plus que jamais aux côtés des blanquistes. Membre du Comité Central de la Garde nationale, il est impliqué dans l’insurrection du 18 mars 1871, date à laquelle il reprend ses fonctions de maire du 20e arrondissement.
C’est même lui qui aura l’honneur de proclamer la Commune à l’Hôtel de Ville le 28 mars 1871. Le nouvel édile prend part à la sortie des Fédérés du 3 avril, bataille entre les forces de la Commune de Paris et celles du Gouvernement central de Versailles.
Le 1er mai, il vote pour l’institution d’un Comité de Salut public et combat avec acharnement jusqu’au dernier jour de la Commune le 28 mai. Réfugié à Londres, il y reprend son métier et milite notamment dans les comités de secours aux réfugiés, puis se rapproche de Bakounine et des libertaires. Tandis qu’en France, Gabriel Ranvier est deux fois condamné par contumace.
En 1879, envisageant un voyage à Londres, il demande aux autorités françaises de l’autoriser de passer par Paris.
Il meurt rue des Tourelles, à Belleville, le 25 novembre 1879, à 51 ans. 600 personnes, dont 200 amnistiés, suivent son enterrement.
Pour en savoir plus :
Chabrol (Jean-Pierre), Le Canon fraternité, Paris, Gallimard (1970).
Dalotel (Alain), Gabriel Ranvier. Le Christ de Belleville, blanquiste, communard et franc-maçon, maire du XXe arrondissement de Paris, Paris, Ed. Dittmar, 2005.
Main-basse sur les canons de Montmartre
Article paru le 18 mars 2021
Du Champ des Polonais (à Montmartre) à la Commune de Paris : la Journée du 18 mars 1871
Le soulèvement du 18 mars 1871 est la riposte des Parisiens à la décision du gouvernement de Thiers de leur retirer leurs armes et leurs canons. En 24 heures, le gouvernement et les troupes régulières abandonnent la capitale aux insurgés.
Conformément aux conventions d’armistice avec l’Allemagne, la Garde nationale a conservé ses armes et la garde des canons fabriqués pendant le siège et payés par les souscriptions des Parisiens. Ils considéraient donc ces 400 pièces d’artillerie comme leur appartenant.
Dans un Paris déjà en pleine ébullition, le gouvernement avait déjà fait deux tentatives pour les récupérer : le 8 mars, il échoue à prendre de force les canons installés à Montmartre et, le 16 mars, même chose pour les canons de la place des Vosges.
Plusieurs maires d’arrondissement, dont Clemenceau, maire du 18e, interviennent auprès du ministre de l’Intérieur pour éviter l’affrontement, mais en vain.
Les préparatifs de l’opération
Le gouvernement veut rétablir son autorité dans Paris avant que les députés, siégeant depuis février 1871 à Bordeaux, ne se réunissent à Versailles.
Parallèlement l’Assemblée nationale prend des mesures très impopulaires comme la suppression des moratoires sur les loyers et les effets de commerce et de la solde quotidienne des gardes nationaux.
Le 17 mars 1871, au soir, Thiers réunit un conseil de gouvernement en présence du maire de Paris, Jules Ferry, du préfet de police Valentin et des généraux Aurelle de Paladines, chef de la Garde nationale, et Vinoy, gouverneur militaire de Paris.
Thiers aux parisiens par affichage le 17 mars 1871. Le texte commence par
« Nous nous adressons encore à vous… » et se termine par
« …cet avertissement donné, vous nous approuverez de recourir à la force (…) sans un jour de retard ».
La décision est prise : les canons entreposés à Belleville et à Montmartre, qui ne sont pas gardés, seront enlevés manu militari. Le dispositif imaginé par Thiers a pour but de récupérer les canons et aussi de quadriller Paris pour rendre toute résistance impossible.
- Les généraux Paturel et Lecomte, avec environ 4 000 hommes et des mitrailleuses, devront marcher sur Montmartre. De l’infanterie, de la cavalerie et de l’artillerie restent en réserve.
- Le général Faron, avec 6 000 hommes, des mitrailleuses et de l’artillerie, doit s’emparer des Buttes-Chaumont pour contrôler Belleville et Ménilmontant, puis occuper les gares du Nord et de l’Est.
- Le général de Maud’huy doit occuper l’Hôtel de Ville, la Bastille, la Cité, le pont d’Austerlitz et le port de l’Arsenal.
- Le préfet de police Valentin dispose des gardes républicains installés dans les casernes Lobau et de la Cité, des régiments de ligne et de cavalerie ; il doit contrôler les Tuileries, la Concorde et les Champs-Élysées.
Au même moment, seuls trois membres du Comité central de la Garde nationale sont de permanence dans l’école de la rue Basfroi (11e arrondissement).
Le 18 mars : de Charybde en Scylla
Le 18 mars, à 3h du matin, les soldats se mettent en marche vers leurs objectifs qui sont atteints avant 6h ; mais la logistique n’a pas suivi et les attelages prévus sont en retard. Le retrait des premiers canons tarde. A Montmartre, la population, tôt levée, s’émeut et les gardes nationaux arrivent en armes. Le Comité central alerté du mouvement des troupes fait battre l’alarme dans le 11e arrondissement et ordonne d’élever des barricades dans le quartier.
Vers 8h, des soldats du 88e régiment de ligne fraternisent avec la population. Le général Lecomte ordonne de tirer sur la foule, mais ses soldats mettent la crosse en l’air. À 9h, le général est fait prisonnier. Les troupes du général Paturel se disloquent et une partie de la réserve du général Subvielle, installée entre la place Pigalle, le boulevard et la place Clichy, fraternise aussi. La permanence du Comité central de la Garde nationale est renforcée par des délégués qui arrivent de leurs quartiers encore tranquilles.
Le Champ des Polonais à Montmartre,
où sera édifiée ultérieurement la basilique du Sacré-Cœur.
Vers 10h, on apprend que les troupes du général Faron ont aussi fraternisé avec la population et abandonné leur matériel.
Des barricades sont montées dans le faubourg Saint-Antoine et à Ménilmontant. Le gouvernement et le commandant en chef de la Garde nationale, le général Aurelle de Paladines, tentent d’organiser une offensive en s’appuyant sur les gardes nationaux des quartiers bourgeois du centre et de l’ouest de Paris.
Mais, sur les 12 000 escomptés, à peine 600 répondent à l’appel et retournent chez eux en constatant la faiblesse de leurs effectifs. Aussi le gouverneur de Paris décide de faire évacuer les quartiers de la rive gauche de la Seine et de replier les troupes sur l’École militaire.
Soldats et gardes nationaux fraternisant le 18 mars 1871 par Gaillard, redessiné.
Vers 13h, le général Lecomte est transféré à Montmartre sur l’ordre d’un comité local de vigilance ; il est pris à partie par la foule et ses propres soldats. Il y est rejoint par un autre prisonnier, le général Clément- Thomas, qui s’était illustré lors de la répression sanglante des émeutes de juin 1848 et qui, bien qu’en civil, a été reconnu.
Vers 14h, le Comité central de la Garde nationale donne l’ordre à tous les bataillons de converger sur l’Hôtel de Ville. À ce moment-là, Montmartre, la gare de Sceaux, la mairie du 14e, la gare d’Orléans, le Jardin des Plantes, le palais du Luxembourg, la mairie du 5e sont aux mains des révoltés.
En début d’après-midi, le gouvernement se divise sur la conduite à tenir : quitter Paris pour y revenir ensuite en force ou bien organiser la résistance dans les quartiers de l’ouest jugés fidèles. Effrayé de voir les gardes nationaux défiler sous ses fenêtres, Thiers décide de quitter Paris pour Versailles et ordonne l’évacuation totale des troupes et des fonctionnaires.
En fin d’après-midi, à Montmartre, la foule déchaînée attaque le poste de la rue des Rosiers où sont retenus les généraux Lecomte et Clément- Thomas ; ceux-ci sont sommairement exécutés par la foule, malgré l’intervention de membres du Comité de vigilance de Montmartre et du maire Clemenceau. L’Hôtel de Ville, où Jules Ferry tente d’organiser la résistance, est abandonné par les soldats.
Les généraux Lecomte et Clément-Thomas devant peloton d’exécution,
montage photographique d’E. Appert, série des Crimes de la Commune.
Paris livré à la Garde nationale
Vers 20h, l’état-major de la Garde nationale, place Vendôme, et la préfecture de police sont aux mains des révoltés alors que l’Hôtel de Ville est encerclé. Les ordres du Comité central sont purement défensifs : « barricades partout. Ne pas attaquer ».
Le bataillon qui cerne l’Hôtel de Ville se retire et Ferry reçoit l’ordre d’abandonner le bâtiment, qui est envahi vers 23h ; le Comité central de la Garde nationale s’y installe.
La rupture entre le gouvernement légal et les insurgés est consommée. Dès le lendemain, le gouvernement prend des mesures pour isoler les communications entre Paris et la province.
C’est le début de la « campagne à l’intérieur » (ensemble des opérations militaires organisées par le gouvernement de Versailles pour réprimer la Commune de Paris et, dans une moindre mesure, les autres insurrections communalistes de province).
De son côté, le Comité central occupe l’Hôtel de Ville, sous la direction d’Édouard Moreau qui convainc ses collègues d’organiser les élections municipales, contre une minorité d’inspiration blanquiste qui voulait marcher sur Versailles sans attendre.
Collage des canons de Montmartre, au Sacré-Cœur, 18 mars 2011. Google map.
Pour en savoir plus :
Le site officiel des Amies et des Amis de la Commune, association qui cherche à faire vivre l’Histoire et la mémoire de la Commune en proposant de nombreux textes, images, photographies, chansons, bibliographies, filmographies : https://www.commune1871.org/.
Laure Godineau, « Le Dix-Huit Mars 1871 : mémoires, écritures et inscription dans l’espace parisien », dans Jean-Claude Caron (dir.), Paris, l’insurrection capitale, Ceyzérieu, Champ Vallon, coll. Époques, 2014, p. 43-53.
Bernard Noël, Dictionnaire de la Commune, Flammarion, coll. Champs, 1978.
Jacques Rougerie, Paris libre 1871, Le Seuil, coll. Politique, 1971.