Exposition de 2017, affiche du musée de l’Armée
L’Affiche rouge du 7 janvier 1871
La plus célèbre des « Affiches rouges » qui ont marqué l’histoire est une affiche de propagande allemande placardée massivement en France sous l’Occupation, lors de la condamnation à mort de 23 membres des Francs-Tireurs et Partisans – Main d’œuvre Immigrée (FTP-MOI), résistants de la région parisienne, fusillés au Mont-Valérien, le 21 février 1944.
Pourtant, il y a une autre « Affiche rouge », moins connue, celle du 7 janvier 1871.
Le 7 janvier 1871, les murs de Paris, assiégé par les troupes allemandes depuis plus de trois mois et réduit à la famine et à la misère, se réveillent recouverts d’une « Affiche rouge », qui est un appel à la formation d’une Commune de Paris.
Après l’échec du soulèvement du 31 octobre 1870[1] contre la politique du Gouvernement de la Défense nationale, les blanquistes viennent renforcer les Internationalistes dans les clubs. En décembre 1870, dans les clubs politiques parisiens, on élit des délégués pour la Commune. Le 30 décembre1870, le Comité central républicain des Vingt arrondissements[2] se réunit sur l’ordre du jour suivant : « De la Commune révolutionnaire et des moyens pratiques pour l’installer révolutionnairement ». Le 5 janvier 1871, l’Affiche rouge est rédigée et prête à être placardée.
Sa rédaction est l’œuvre d’Emile Leverdays, de Gustave Tridon, d’Edouard Vaillant et de Jules Vallès, à la demande de la Délégation des Vingt arrondissements (nom provisoire du Comité central républicain des Vingt arrondissements). Elle porte les signatures de cent quarante délégués.
Il s’agit d’une déclaration de guerre contre le Gouvernement de la Défense nationale : « Le gouvernement qui, le 4 septembre, s’est chargé de la défense nationale a-t-il rempli sa mission ? — Non ! » Suivent les griefs contre le gouvernement : refus de la levée en masse, répression contre les républicains après le soulèvement du 31 octobre, incapacité de ravitailler les Parisiens, sorties militaires mal préparées et vouées à l’échec… « Si les hommes de l’Hôtel de Ville ont encore quelque patriotisme, leur devoir est de se retirer, de laisser le peuple de Paris prendre lui-même le soin de sa délivrance ? […] Place au Peuple ! Place à la Commune ! ».
Suit un véritable programme d’action en trois points :
Réquisitionnement général des ressources matérielles et humaines ;
Rationnement gratuit ;
Lutte à outrance pour en finir avec le siège.
Mais le Gouvernement reste en place et le général Trochu[3] fait placarder le même jour une affiche blanche accusant de calomnie les auteurs de l’affiche rouge.
Une tentative de soulèvement échoue le 22 janvier 1871[4]. L’armistice franco-allemand est signé le 29 janvier suivant. Il faudra attendre les événements du 18 mars 1871 pour que l’idée de Commune soit enfin appliquée.
Texte de l’Affiche
AU PEUPLE DE PARIS
Les Délégués des Vingt Arrondissements de Paris
Le gouvernement qui, le 4 septembre, s’est chargé de la défense nationale a-t-il rempli sa mission ? – Non !
Nous sommes 500 000 combattants et 200 000 Prussiens nous étreignent ! À qui la responsabilité, sinon à ceux qui nous gouvernent ? Ils n’ont pensé qu’à négocier au lieu de fondre des canons et de fabriquer des armes.
Ils se sont refusés à la levée en masse.
Ils ont laissé en place les bonapartistes et mis en prison les républicains.
Ils ne se sont décidés à agir enfin contre les Prussiens qu’après deux mois, au lendemain du 31 octobre.
Par leur lenteur, leur indécision, leur inertie, ils nous ont conduits jusqu’au bord de l’abîme : ils n’ont su ni administrer ni combattre, alors qu’ils avaient sous la main toutes les ressources, les denrées et les hommes.
Ils n’ont pas su comprendre que, dans une ville assiégée, tout ce qui soutient la lutte pour sauver la patrie possède un droit égal à recevoir d’elle la subsistance ; ils n’ont rien su prévoir : là où pouvait exister l’abondance, ils ont fait la misère ; on meurt de froid, déjà presque de faim : les femmes souffrent, les enfants languissent et succombent.
La direction militaire est plus déplorable encore : sorties sans but ; luttes meurtrières sans résultats ; insuccès répétés, qui pouvaient décourager les plus braves ; Paris bombardé. – Le gouvernement a donné sa mesure : il nous tue. – Le salut de Paris exige une décision rapide. – Le gouvernement ne répond que par la menace aux reproches de l’opinion. Il déclare qu’il maintiendra l’ORDRE, – comme Bonaparte avant Sedan.
Si les hommes de l’Hôtel de Ville ont encore quelque patriotisme, leur devoir est de se retirer, de laisser le peuple de Paris prendre lui-même le soin de sa délivrance. La municipalité ou la Commune, de quelque nom qu’on l’appelle, est l’unique salut du peuple, son seul recours contre la mort.
Toute adjonction, ou immixtion au pouvoir actuel ne serait qu’un replâtrage, perpétuant les mêmes errements, les mêmes désastres. – Or la perpétuation de ce régime, c’est la capitulation, et Metz et Rouen nous apprennent que la capitulation n’est pas seulement encore et toujours la famine, mais la ruine et la honte. – C’est l’armée et la Garde nationale transportées prisonnières en Allemagne, et défilant dans les villes sous les insultes de l’étranger ; le commerce détruit, l’industrie morte, les contributions de guerre écrasant Paris : voilà ce que nous prépare l’impéritie ou la trahison.
Le grand peuple de 89, qui détruit les Bastilles et renverse les trônes, attendra-t-il dans un désespoir inerte, que le froid et la famine aient glacé dans son cœur, dont l’ennemi compte les battements, sa dernière goutte de sang ? – Non !
La population de Paris ne voudra jamais accepter ces misères et cette honte. Elle sait qu’il en est temps encore, que des mesures décisives permettront aux travailleurs de vivre, à tous de combattre.
Réquisitionnement général, – Rationnement gratuit, Attaque en masse.
La politique, la stratégie, l’administration du 4 septembre, constituées de l’Empire, sont jugées. Place au peuple ! Place à la commune !
Les Délégués des Vingt arrondissements de Paris
ADOUÉ, ANSEL, Antoine ARNAUD, J. F. ARNAUD, Edm. AUBERT, BABICK, BAILLET père, A. BAILLET, BEDOUCH, CH. BESLAY, J. M. BOITARD, BONNARD, Casimir BOUIS, Léon BOURDON, Abel BOUSQUET, V. BOYER, BRANDELY, Gabriel BRIDEAU, L. CARIA, CAILLET, CHALVET, CHAMPY, CHAPITEL, CHARBONNEAU, CHARDON, CHARTINI, Eugène CHATELAIN, A. CHAUDET, J. B. CHAUTARD, CHAUVIÈRE, CLAMOUSSE, A. CLARIS, CLAVIER, CLÉMENCE, Lucien COMBATZ, Julien CONDUCHÉ, DELAGE, DELARUE, DEMAY, P. DENIS, DEREUX, DURINS, DUPAS, DUVAL, DUVIVIER, R. ESTIEU, FABRE, F. FÉLIX, Jules FERRÉ, TH. FERRET, FLOTTE, FRUNEAU, C. J. GARNIER, L. GARNIER, M. GARREAU, GENTILINI, Ch. GÉRARDIN, Eug. GÉRARDIN, L. GENSON, GILLET, P. GRIRARD, GIROUD-TROUILLIER, J. GOBERT, Albert GODILLE, GRANDJEAN, GROT, HENRY, Fortuné HENRY, HOURIOUL, Alph. HUMBERT, JAMET, JOHANNARD, Michel JOLY, JOUSSET, JOUVARD, LACORD, LAFARGUE, LAFFITE, A. LALLEMENT, LAMBERT, LANGE, J. LARMIER, LEBALLEUR, F. LEMAITRE, E. LEVERDAYS, Armand LÉVY, LUCIPIA, Ambroise LYAZ, Pierre MALLET, MALON, Louis MARCHAND, MARLIER, J. MARTELET, Constant MARTIN, MAULLION, Léon MEILLIET, N. MISSOL, Dr Tony MOILIN, MOLLEVEAUX, MONTELLE, J. MONTELS, MOUTON, MYARD, NAPIAS-PIQUET, Émile OUDET, PARISEL, H. PIEDNOIR, PIRÈVE, PILLOT docteur, PINDY, Martial PORTALIER, PUGET, D.-TH. RÉGÈRE, RETTERER aîné, Aristide REY, J. RICHARD, ROSELLI-MOLLET, Édouard ROULLIER, Benjamin SACHS, SAISSON, TH. SAPIA, SALLÉE, Salvador DANIEL, SCHNEIDER, SERAY, SICARD, STORDEUF, TARDIF, TREILLARD, TESSEREAU, THALLER, THEISZ, THIOLIER, TRIDON, URBAIN, VIARD, ED. VAILLANT, Jules VALLÈS, VIELLET[5].
Jules Vallès et Édouard Vaillant, signataires de l’Affiche rouge.
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Fig. 1. L’« Affiche rouge », 1944.
Fig. 2. L’« Affiche rouge » placardée sur les murs de Paris, le 7 janvier 1871.
Fig. 3. Portrait de Jules Vallès (1832-1885), par Gustave Courbet, vers 1861. Paris, musée Carnavalet.
Fig. 4. Edouard Vaillant (1840-1915), photographie.
[1] Tentative d’occupation de l’Hôtel de Ville de Paris, où siège le gouvernement de la Défense nationale, à laquelle les Bellevillois de Flourens prennent une part déterminante. Elle est provoquée par l’annonce de la défaite du Bourget et de la capitulation de Bazaine.
[2] Organe central constitué, le 15 septembre 1870 ; il est composé de 4 délégués par arrondissement, représentant les Comités de défense et de vigilance locaux, qui gèrent la sécurité publique, la police municipale, les réquisitions et le rationnement, l’organisation de la défense à Paris et en province.
[3] Louis Jules Trochu (1815-1896), officier, nommé gouverneur de Paris en août 1870, puis président du Gouvernement de la Défense nationale. Il donne sa démission le 22 janvier. Et Victor Hugo lui assène ce mot cinglant : « Trochu, participe passé du verbe Trop Choir… ».
[4] Après Buzenval, les Parisiens, fatigués des sacrifices vains endurés depuis si longtemps, se sentent trahis. Ils organisent une grande manifestation sur la place de l’Hôtel de Ville. Il s’agit de s’opposer à la capitulation et de réclamer la guerre à outrance. Les mobiles bretons ouvrent le feu sur la foule, il y a des morts et la manifestation se disperse. L’armistice est signé une semaine plus tard.
[5] Pour la plupart de ces noms, on renvoie à Bernard Noël, Dictionnaire de la Commune, Paris, Flammarion, 1978, 2 vol., et à Michel Cordillot (coord.), La Commune de Paris 1871, l’événement, les acteurs, les lieux, Paris, Les Editions de l’Atelier (à paraître).
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